Jean-Luc Wauthier, Sur les aiguilles du temps, poèmes, Le Taillis-Pré, 2014, 120 pp, 10  €. Il arrive toujours, et à chacun de nous, plus ou moins confusément, d’être confronté à l’enfant qu’il a été. Jean-Luc Wauthier a vécu cette expérience qu’il nous transmet ici par l’écriture, et sous la bannière d’un peintre des crépuscules ordinaires et des îles à la dérive, Arnold Boecklin. C’est « saisissant », aux limites du réel. D’emblée, dès le premier poème, nous voilà plongés dans son atmosphère. celle de la tempête silencieuse, de l’arbre qu’agite le vent du mystère. Il procède ici par courtes répétitions, qui donnent à son texte le ton d’une certaine angoisse. Et tout le texte se déroule comme un tapis, hanté par l’alternance présence/absence (p.16), jour/nuit (p.17). La confrontation avec la mort (p.21) devient l’un des thèmes dominants du recueil. Il parcourt tout au long le monde nocturne, hanté par les disparus, mais qui n’est pas toujours effrayant. Ainsi nous dira-t-il, p.26: Sois ton propre printemps. Et ne sois que ce passage. Mais le moment qui importe et qui s’impose, en fin de compte, c’est celui-là: l’entre chien et loup, le clair-obscur,  avec parfois un tableau désolant, évoquant la Mesnie Hellequin, la chasse fantôme. Et, en même temps, une présence très prégnante de sa famille, de son village. Le clair-obscur, non pas une négation de la vie, ou le vide complet, mais une sorte de limbes, de grisaille où se déplacent les ombres, comme chez les Anciens. Et puis nous retrouverons le grenier, lié à l’enfance, l’opposition, p.53, entre l’adulte et l’enfant. L’image, presque, d’un enfant qui ne peut devenir adulte, et parfois, comme à la p.57, une déchirante tristesse. Cette île lointaine, dont tu fus l’hôte, a cessé de te chanter son histoire au creux de l’oreille. Perdu dans les marais, te voici trempé par les plus noirs complots, hanté par les épouvantails du pouvoir, ballotté sur la marée amère de la vacuité. Le rossignol ne chante plus. L’arbre meurt debout. L’ange, tu l’as chassé. Seul, au bord de la route, t’appelle en vain l’enfant que tu fus. Il retombe ainsi dans le quotidien. L’enfant disparu, la désolation, le découragement. D’où le titre du recueil, qui apparaît à la p.90, cette sorte de ballet « sur les pointes », les aiguilles du temps. Et même, p.92, le retour d’un titre ancien, le Château de poussières: Penses-tu parfois, homme périssable, au château de poussières bâti, jour après jours, sous tes paumes fragiles? Avec ce recueil, Jean-Luc Wauthier nous aurait-il confié les clés de son Waste land?

Joseph Bodson