Jean-Pierre Outers, Un Voyage à l’envers, L’Harmattan, 2015

Dans cet ouvrage, qui tient à la fois du récit de voyage et de l’essai, l’auteur prend comme point de départ une situation peu ordinaire : après avoir vécu une trentaine d’années dans diverses régions du monde, il décide de rentrer en Belgique. Cette démarche engendre un bouleversement aussi important que celui causé par l’éloignement de la mère-patrie. Peut-être faut-il être sorti assez longtemps de chez soi, avoir parcouru les immensités des steppes, des savanes, des déserts, des océans, des forêts, pour pouvoir voir, regarder enfin vraiment ce minuscule bout de terre imaginaire où l’on a poussé.

Tout au long d’une année, Jean-Pierre Outers redécouvre la Belgique, mais aussi l’Europe à l’aune de son expérience vécue au Maghreb, en Afrique noire, dans l’Océan Indien, en Inde, en Chine ou au Vietnam. Le livre alterne les anecdotes et les réflexions, où se tisse un décryptage détaillé de la société occidentale telle qu’elle a évolué pendant ces trente dernières années. Le progrès rendu possible par notre régime démocratique tant vanté aboutit à une impasse, lorsqu’on s’aperçoit que le confort matériel issu de la technologie n’engendre pas le bonheur.

Ainsi en est-il de nos moyens de communication : smartphone, messagerie électronique et webcam rendent les échanges de plus en plus déshumanisés. Sommes-nous capables de jeter des ponts entre les cultures ? s’interroge l’auteur. Selon lui, cette aptitude à communiquer est bien mieux réalisée chez les peuples sous-développés. Autre exemple : les centres historiques de nos villes, restaurés à grands frais, sont devenus des musées à ciel ouvert, sans vie et désertés le dimanche. Personne n’y habite.

L’auteur souligne aussi la passion du débat qui anime la vie politique en Occident et ses dérives : la contradiction frontale et un tumulte permanent. Chez les Chinois, l’échange doit d’abord valoriser l’interlocuteur. Il constate aussi que L’Européen est décidément le digne héritier des Lumières : il veut tout comprendre, répertorier, classer, maîtriser. Est-ce la meilleure manière d’appréhender le réel ? D’autres thèmes sont également explorés : sens et bon sens, l’abondance, l’âme des choses, le couple amoureux, le temps, le langage, l’écriture (alphabet ou idéogrammes) et bien d’autres.

Le mode de vie asiatique ou africain peint par Jean-Pierre Outers nous renvoie à la société occidentale de la première moitié du XXesiècle : absence de confort et de luxe pour la plupart, mais conscience de la valeur des choses et priorité accordée aux rapports humains. Aussi ce Voyage à l’envers est-il un Voyage allant vers, une invitation à méditer sur l’évolution de cette société, ses dérives, sa fébrilité maladive.

Notons enfin la qualité de l’écriture de Jean-Pierre Outers, ce qui n’est pas évident dans un ouvrage de réflexion.

Jacques Goyens