Joseph Bodson – Mârîye – One vikêrîye / Marie – Une vie traduit en wallon de la Basse-Sambre par l’auteur – éd. Audace (coll. Terre Natale) – 151 pages – 15 €

Pas vraiment le roman d’une vie étalée en détail sous nos yeux, mais plutôt le squelette, la charpente d’une vie, l’essence de la vie de Marie, en quelques tableaux, quelques parfums, quelques couleurs. Et l’imagination du lecteur l’habille à sa guise, selon ses souvenirs personnels ou son invention du moment. Il fait vivre Marie… vivre Mârîye. La voilà qui présente son bébé au monde :

«   De toute la hauteur de ses bras, elle le présente à tout, à tous : au soleil, à ce gros nuage, au ciel bleu et rose. Aux bois. Aux oiseaux. Aux agneaux qui tètent dans la prairie. Comme le prêtre fait de l’ostensoir, aux vêpres, en cette heure toute dorée des après-midis d’été.

   Le chat vient paresseusement se frotter contre ses jambes. Son pelage aussi est plein de soleil. Le petit tend les mains pour l’attraper. Le chat s’enfuit.

   Il fait bon. Le temps s’arrête. Un instant encore, et l’éternité va s’ouvrir, comme un beau fruit mûr.»

Raconter la vie d’une fille de la campagne, de l’enfance enchantée à l’âge adulte, puis à la vieillesse, sereine, malgré tout. La vie au cœur de la nature, dont elle s’imprègne à chaque page, religieusement. Avec une grande puissance d’évocation, en quelques séquences choisies, quelques parcelles de vie jaspées de poésie, l’auteur balise le parcours d’une femme pour qui il ressent probablement beaucoup d’empathie, et nous fait découvrir à travers les événements, le quotidien, les noms parfois étonnants des protagonistes, l’ambiance d’un lieu et d’une époque qu’il a bien connus. Un peu de mélancolie transparaît mais surtout beaucoup d’amour des gens et des choses, dans ce livre plein du bonheur de vivre.

Mais le récit a ceci de particulier, qui lui donne une saveur inestimable, c’est qu’il a été traduit en wallon par l’auteur, qui manipule la langue avec aisance. Et pour celui qui arrive à lire la partie wallonne, laquelle figure d’ailleurs en première instance, celui qui arrive à faire résonner en lui les échos de la langue du pays, c’est vraiment la campagne wallonne qui lui saute au visage. Et pour celui qui ne comprend pas le wallon, il suffit d’aller voir le français, peut-être plus policé mais tout aussi ressenti et agréable à lire.

Il nous revient que l’auteur nous a dit un jour que le wallon était pour lui la langue du cœur,  de l’émotion, celle qui a baigné son enfance – et finalement, celle qui l’a pétri. Celle dans laquelle il ressent, celle à laquelle il est revenu ici, après avoir rédigé en français le roman de Marie… redevenue Mârîye par la grâce de la langue.

Isabelle Fable