Joseph Cimpaye – L’homme de ma colline –  préface de Marc Quaghebeur – Archives et Musée de la Littérature – éd. M.E.O. – 146 pages – 18 €

Joseph Cimpaye fut le premier Premier ministre du Burundi indépendant. Il se retira de la vie politique dès 1961 et se vit condamné en 1969 à cinq ans de prison au motif d’atteinte à la sûreté de l’Etat, puis libéré, avant de retrouver la prison pour être exécuté en 1972. C’est pendant son incarcération qu’il a écrit son unique roman, L’homme de ma colline. Il s’agit du premier roman de la littérature francophone du Burundi. Demeuré inédit, il se voit publié aujourd’hui grâce à une initiative des Archives du Musée de la Littérature dans le cadre des publications consacrées à l’Afrique centrale.

Quoique rédigé dans des circonstances douloureuses, le roman ne recèle pas d’amertume ou de rancune personnelle. Cimpaye raconte simplement une histoire banale pour les Barundi (habitants du Burundi), une histoire comme ils en vivent ou en connaissent tous, transmise par la tradition orale et transposée ici par écrit et en français afin d’élargir le champ des lecteurs et de faire découvrir ce pays cher à son cœur. Les événements sont situés au Burundi (appelé alors Urundi) de 1938 à la fin de la Seconde Guerre mondiale et nous présentent la vie et la culture des Barundi à l’époque coloniale, dans un pays fortement hiérarchisé, avec un monarque puissant, une cour royale, des chefs de clans, des chefs régionaux, tout un système féodal respecté par le colonisateur belge, qui s’est superposé à lui.

Dans ce système existe une main-d’œuvre abondante en la personne des M.A.V. (mâles adultes valides), taillables et corvéables à merci, qui se voient « recrutés » temporairement pour des travaux d’intérêt public et qui, à la moindre occasion, connaissent la chicote (fouet en peau d’hippopotame). Ils ne se révoltent pas, la soumission aux divers chefs et sous-chefs est de mise et tout le monde s’y plie. L’auteur nous présente ainsi le jeune Benedikto et sa famille, la mère veuve, le frère et la sœur plus jeunes, évoluant dans un monde rural traditionnel, avec ses valeurs de solidarité familiale, de sens des responsabilités, d’amitié et de fidélité. Un monde où la soumission résignée des uns va de paire avec l’oppression tyrannique des autres. Nous sont donnés à voir l’obséquiosité devant les dirigeants et l’attitude impitoyable envers les administrés, la corruption et les petits « cadeaux », la bière de sorgho qui coule à flots, les rituels à respecter en cas de visite, les fêtes où se côtoient le  peuple traditionnel, les « évolués » (qui parlent français avec les Européens), les notables et les Blancs…

Benedikto est amené à s’exiler en Ouganda pour échapper à la justice, qui le poursuit pour une peccadille (la disparition d’une pompe à vélo dont il avait la garde). L’Ouganda, sous domination anglaise, offre à ceux qui y travaillent des avantages que l’on n’a pas au Burundi : des rémunérations pour les tâches effectuées et une possibilité d’avancement. Les exilés s’en reviennent au pays avec des cadeaux pour la famille et les amis… mais en même temps, ils sont l’objet d’un certain mépris.

Par ce roman, l’auteur veut faire connaître son pays à travers une fiction mais il ne fait pas allusion au conflit ethnique Hutu-Tutsi, latent à l’époque concernée par le récit et qui n’a explosé qu’après l’indépendance et l’abolition de la monarchie. Il s’intéresse à la pauvreté, à l’ignorance, à l’injustice, plutôt qu’aux clivages ethniques, comme sources de difficultés potentielles pour le pays. Pourtant, sa seconde arrestation, survenue le 2 mai 1972 dans le cadre de la répression du soulèvement hutu du 29 avril 1972, lui sera fatale : il sera exécuté endéans les quelques jours…

Le roman a donc un aspect social plutôt que politique. C’est la vie quotidienne d’un peuple qui  nous est dévoilée. L’esprit de solidarité des Barundi, quand les amis et voisins font équipe pour bâtir la maison du futur marié en un temps record. Le sens des responsabilités, quand l’oncle de Benedikto, Rukundo (dont le nom signifie amour) se démène pour protéger son neveu. Mais aussi l’oppression acceptée par le peuple, la lenteur tranquille de la vie, les discussions où fourmillent les non-dits, les expressions imagées, les palabres, les « nous allons étudier le cas »… qui remettent à plus tard les décisions.

Nous découvrons peu à peu l’esprit burundais traduit pour nous en français. Mais les dialogues en français ne me semblent pas rendre vraiment la couleur du langage africain, chantant, modulé, dépaysant, fantaisiste. Or, dans un roman, les seuls éléments qui donnent  l’ambiance, ce sont les mots et leur musique. Le français n’est sûrement pas la langue idéale pour rendre l’âme de l’Afrique frémissante, vibrante, haute en couleur. Il est trop raisonnable pour rendre l’intensité émotionnelle. On ne transmue pas un esprit africain en langage européen. Les cultures sont trop différentes, enracinées dans des terreaux incompatibles. L’Afrique nous apparaît donc un peu voilée, habillée de nos sages mots occidentaux. Reste qu’à travers les mots, les descriptions de paysages, de fêtes, l’analyse des sentiments et des actions, cette relation de la vie quotidienne offre un charme indéniable. L’on prend plaisir à découvrir l’histoire du pays et de ses habitants, on se passionne pour le sort du jeune Benedikto obligé de s’exiler, et qui  ne rêve que de retour au pays.

Pour terminer, il faut citer la préface de Marc Quaghebeur, les témoignages de Jean-Marie Van Bol et Aloys Rwiyegura, ainsi que la postface de François Cimpaye (fils aîné de Joseph), qui nous donnent divers éclairages sur l’auteur et sur l’œuvre. Sans oublier l’album de photos de l’écrivain, qui achève de nous le rendre proche.

Isabelle Fable