Joseph Dewez, Bernard Louis, Axel Tixhon, Les «Kriegscayès», La Grande Guerre des Rèlîs Namurwès, éd. Société archéologique de Namur, col.Namur, histoire et patrimoine, rue de Fer, 35, 5000 Namur.. Tél : 081/22.43.62. Courriel : soc.arch.namur@scarlet.be.

kriegC’est à un véritable travail de bénédictin que se sont livrés les auteurs de ce bel ouvrage. Et le résultat en vaut la peine : s’il ne bouleverse pas notre connaissance de la première guerre mondiale, du moins permet-il d’affiner l’image que nous en avions, aussi bien celle des soldats, que celle des prisonniers, des civils, et de ceux qui se sont trouvés à l’étranger. De plus, ce coup de projecteur émane d’une société littéraire, et qui plus est, d’une société littéraire wallonne, qui avait ses conditions d’admission et ses règles bien établies. Les auteurs ont par ailleurs eu l’excellente idée de s’adjoindre des collaborateurs très compétents, venus de l’extérieur. Dans une étude à la fois très claire et très fouillée, Joseph Dewez retrace l’histoire des Rèlîs (les choisis, les triés, en wallon de Namur) : Lès Rèlîs namurwès avant, pendant et juste après la guerre. Les «Kriegscayès» dans leur contexte. Issus d’un petit groupe de professeurs et d’élèves de l’athénée de Namur, dans un premier temps, ils ne s’occuperont que de la défense du wallon ; entre 1910 et 1914, on les verra réagir contre le flamingantisme. Il s’agit d’une société assez élitiste, ce qui se dégage notamment de la cérémonie de la passète (les textes sont en quelque sorte passés au tamis avant d’être admis) et du serment qui l’accompagne. Une partie de ces œuvres, lues en séance, seront publiées dans Li Ban Cloke, et dans Li Couarneû, qui n’auront qu’une existence éphémère. Ils vont recruter de nouveaux membres, pour se retrouver à 12 en 1914. Pendant la guerre, ils vont continuer à se retrouver, tandis qu’au camp de Soltau va se constituer le groupe de quatre RNP, lès Rèlîs namurwès prisonniers., qui adresseront aux RN une lettre datée de mai 1915 pour leur exposer leurs activités. De nouveaux membres vont s’inscrire, notamment Ernest Montellier, et avec lui la société s’ouvrira à la chanson et au théâtre. Un dès Rèlîs, Georges Pelouse, sera tué au front en 1918, après avoir animé une revue littéraire destinée aux soldats flamands aussi bien que wallons, portant d’ailleurs un titre wallon. Paul Maréchal, blessé, séjournera en Angleterre, en Italie, et en France, en tant qu’ingénieur. Après la guerre sera publiée une anthologie, Fleûrs dès sera publiée une anthologie, Fleûrs dès mwês djoûs,et assez souvent des textes dès Rèlîs seront publiés dans une nouvelle revue, née en 1924, le Guetteur wallon. D’autre part, lès Rèlîs vont s’affilier à la Fédération wallonne de la province de Namur. C’est en 1937 seulement que seront créés les Cahiers wallons.
Vient ensuite une biographie succincte de chacun des Rèlîs, exposant son activité avant, pendant et après la guerre, et munie  d’une abondante iconographie.
Les sources du présent ouvrage sont multiples, comptes-rendus  des séances, archives personnelles, publications diverses,  anthologies, articles, sans oublier les Kriegscayès proprement dits,  réunis en trois fardes contenant des textes admis par le Comité de  lecture et quelques documents. Ceux-ci sont reproduits dans leur
intégralité, et encadrés par un exposé explicatif.
L’orthographe a été vérifiée, régularisée éventuellement, par  Bernard Louis, orfèvre en la matière.
Bien sûr la personnalité de chacun s’y révèle, avec des thèmes  récurrents : l’attentat allemand, l’attitude du Roi, les massacres, la  vaillance de nos soldats, et par la suite les privations dues à la  guerre, et là on sent pointer, de temps à autre, la revendication  sociale, la pensée des prisonniers, les déportés, les collaborateurs,
ceux qui s’enrichissent du malheur des autres, l’aspiration à la  paix. Chez les prisonniers domine bien sûr le thème de l’absence,  le regret du pays natal, et les dures conditions de vie. Thirionet,  par exemple, devra être évacué sur la Suisse.
Après la guerre, tous ces textes, y compris ceux des prisonniers,  seront relus par le Comité de lecture, où l’on retrouve le plus  souvent les frères Marchal, et cela donnera lieu à des échanges  assez vifs entre ceux-ci et Thirionet, notamment. Il faut aussi noter  chez Paul Maréchal – qui se trouvait à l’étranger – une tendance à
l’exagération des méfaits allemands, tendance assez générale, bien  sûr, à l’époque.  Bien sûr, tous ces textes ne sont pas des chefs d’œuvre littéraires,  beaucoup d’entre eux ne sortent pas des sentiers battus. Mais  certains textes de Montellier, de Joseph Calozet (très actif dans la  Résistance), de Thirionet, de Charles Camberlin (médecin de  Malonne qui s’est littéralement tué à la tâche) sont marqués au  coin d’une grande fraîcheur et d’une réelle valeur poétique.
Dans Hommes d’abord, Wallons ensuite, Belges pour ce qui  reste.Lès Rèlîs namurwès à l’épreuve de la Grande Guerre, Paul  Delfosse va s’employer à replacer dans le contexte, politique  surtout, les entreprise des Rèlîs. Notons plus particulièrement  qu’ils ne veulent pas d’un wallon unifié, ni non plus du  remplacement du français par le wallon. En approchant des  élections de 1912, la politique tient de plus en plus de place dans  la Ban Cloke, tandis qu’à partir de 1912 paraîtra Sambre et Meuse  de François Bovesse. Lucien Maréchal sera membre du comité de  rédaction. Il sera aussi l’un des fondateurs de la Ligue wallonne  de Namur. Son frère Paul écrira Li coq walon. Les Rèlîs en  viendront même à concocter une Adresse au roi qui ne sera  envoyée qu’en 1920, suite à la déclaration de guerre, pour faire
pièce aux revendications flamandes.
Laurence Van Ypersele signe, elle, un excellent texte intitulé La  patrie héroïsée. Quatre regards de Rèlîs: les évènements vus sous  l’angle de l’occupation, de la lutte armée, de l’exil et de la captivité.  Les Rèlîs sont en effet de parfaits exemples de ces situations.
Dans Les prisonniers de guerre. La perception de la captivité dans  les écrits wallons chez Edmond Wartique et Edouard Thirionet,  Jean Germain se penche sur l’une des publications les plus  réussies, les écrits d’Edmond Wartique et Edgar Thirionet, et  étudie chez eux la perception de la captivité. Tout, ou presque,
chez eux, éveille la nostalgie et la tristesse, mais une tristesse sans  emphase, qui s’exprime par des termes, des attitudes où le  concret, le geste l’emportent sur les grandes déclamations  pathétiques. Leurs poèmes sont d’une discrétion remarquable,  marquée au coin par l’humour. Leur récit commun en prose, Lès  crwès dins lès bruwères, fera preuve des mêmes qualités. Il se  terminera par : Vos-ôtes ossi, mès bons vîs soçons, vosse rîre a  sonné clér pus d’on côp, maugré l’ misére qui vos strindeûve./Et  portant asteûre, i m’ chone qui dj’a mau faît pusqi vos n’èstoz pus  là tortos po sorîre avou mi dès sakants bons sov’nîrs qui d’mèrenut  di ç’ timps-la…
Axel Tixhon : Le wallon, lalangue du ventre?Il est vrai qu’il s’agit  d’un thème omniprésent. Les Namurois ont toujours eu la  réputation d’être de bons vivants, et les restrictions causées par la  guerre faisaient de la nourriture un souci lancinant.
Cette ressource ultime de l’humour, Pierre Manil va l’analyser  jusqu’en ses fondements philosophiques, dans son exposé  Humour et résistance du moral.  Il s’agit là d’un élément central, qui court comme un fil rouge d’un  bout à l’autre du livre, avec l’étincelle du rire qui éclate lorsque  s’entrecroisent les torsades de deux discours étrangers l’un à  l’autre. Bergson ne disait-il pas que c’est le contraste qui provoque  le rire ? Comme l’écrit Pierre Manil, un basculement du rationnel
vers le non-rationnel.
Enfin, Joseph Dewez reprendra la parole pour analyser  l’expression religieuse dans trois Noëls de guerre, de Calozet,  Lucien Maréchal et Emile Robin. Il dira de Pont d’avance, celui  de Robin, que c’est le poème le plus désespéré des Kriegscayès,  alors que les notations religieuses sont plus fréquentes dans les
œuvres en français que dans celles en wallon de Joseph Calozet..On me pardonnera, je l’espère, un compte-rendu aussi long : c’est  qu’il ‘agit d’un fort volume de 448 pages in-quarto, et, surtout non  d’un ouvrage de circonstance, mais d’un ouvrage de référence et  de ressourcement, pour lequel il convient de saluer le travail
considérable qui a été accompli par les Rèlîs.

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Joseph Bodson