Juvénal Ngorwanubusa, Les années avalanche, Bruxelles, Archives et Musée de la littérature, coll. « papier et encre noire »,2012, 143p.

A première lecture, on peut s’interroger sur ce récit, comme le préfacier, délégué de Wallonie-Bruxelles : épitomé du génocide du Burundi, roman ou fiction romanesque s’inscrivant dans l’écheveau complexe de réalités récentes d’une société clivée entre Tutsis et Hutus par la période coloniale jusqu’à l’avalanche du génocide, la question reste en suspens jusqu’aux deux tiers de la narration…

L’auteur, grande sommité politique intellectuelle , et historien littéraire de son pays, commence par le récit picaresque de deux jumeaux antagonistes, Sankara et Savimbi dans leur ascension politique du pouvoir dans les années Bagaza, puis Buyoya, une fois  diplômés de l’Université de Louvain-la-Vieille.

Cette ascension y est envisagée du seul point de vue des nouvelles élites africaines formatées au fil des stéréotypes colonialistes de façon très ironique et colorée : c’est ainsi que l’on pénètre dans le lacis touffu des contradictions du Burundi postcolonial, travesti par le vernis  de la respectabilité  face à  l’incontrôlable habilité  des nouveaux tribuns en lice.

Le ton cependant change du tout au tout dès qu’est abordé ce qui précède et ce qui suit la période coloniale belge: le récit picaresque fait place à un nouveau tout autre marqué par le clivage indéracinable entre les Hutus et les Tutsis.

Même si le lecteur réussit à suivre le destin politique des protagonistes de la fiction, le contexte évoqué au moment du génocide est d’une telle précision qu’il peut être lu facilement  suivant les péripéties bien connues des événements : tels sont les trois chapitres intitulés respectivement : de la démocratie au déluge, Burundi burning et œil pour œil et dent pour dent.

Le ton change et devient plus âpre lors de l’évocation terrible des massacres et l’auteur suggère à maintes reprises que le clivage entre les deux ethnies fratricides porte la marque indélébile du colonisateur belge qui a divisé l’âme africaine en  deux moitiés ennemies.

En outre, il stigmatise cette période de toutes les dérives ultérieures, notamment avec le Ruwanda dans l’imbroglio  né des interventions politiques internationales.

En contrepoids, les derniers chapitres voient apparaître de prestigieux personnages appelés Bashingantahes :il s’agit de notables détenteurs des traditions populaires ancestrales, censés incarner la respect d’autrui, la justice, la sagesse et plus encore l’unité de l’âme africaine.

C’est ainsi  que le récit se poursuit par des rencontres solennelles entre ces sages et les nouveaux leaders de l’assemblée nationale  qui se poursuivent dans d’interminables   et sentencieux palabres visant à rétablir le lien ancestral et mémoriel d’une nouvelle société africaine réunifiée et pacifiée.

Que conclure au terme de cette narration romancée ?

On peut dire qu’elle  a de grandes qualités littéraires de style et de composition en mélangeant habilement fiction et réalités indéniables ; il n’empêche que le point de vue de l’auteur, malgré l’ironie et l’antiphrase très prégnantes , fait un plaidoyer pro domo dans une espèce de roman à thèse un peu manichéen entre la figure du bon sauvage classique et le vilain colonisateur, bouc émissaire d’une société en recherche de ses valeurs idéales ancestrales.

Jean-Pierre Grandjean.