Jean-Marie Kajdanski, Pain Gris, poèmes bilingues français-picard, éd. Audace, 60 pp, 8 €. pierre.bragard@Hotmail.com.

pain grisDans sa préface, Jean-Marie Kajdanski nous rappelle d’abord son attachement au village dans lequel il vit. Et puis, nous dit-il: L’enfance, le terroir, les préoccupations sociales, les bonheurs simples, la femme, sont les thèmes essentiels de mes écrits tant en français qu’en picard.

De fait, dès le premier poème, c’est le destin, la vie, le métier des hommes de sa région qu’il nous dépeint. Les ouvriers de carrière. Et, de façon frappante, les termes, les images qui les décrivent sont des termes qui expriment l’absence de liberté, les liens qui les contraignent: Le jour se lève/nous n’avons pas fini de compter les étoiles/mardi, lundi/quel jour sommes-nous/des yeux rêvaient de châteaux en Espagne//demain, déjà jeudi/les deux mains accrochées à la machine/le caillou sort de la carrière (èl jour  i s’éyéve/in-n-a nié fini d’ conter lés-étwåles//mårdi, lindi/queû jourqu’in-n-ést/dés-ieus i révwin.nt’/éd catiôs in-n-Éspane//èd’min, èd’djà jwédi/lés deûs mins agripées à l’ machine/èl cayô dé.ute dèl roke. Et puis, cette image très forte: nous/englués jusqu’aux yeux/moineaux brisés dans les filets de l’oiseleur. (nous-ôtes/dèl gwi èsqu’à lés-ieus//piérots brîjés d’dins lés filéts du tindeû) Un peu comme les prisonniers de Platon, les carriers ne voient qu’un reflet du monde, voilé de poussière grise, tout comme les maisons toutes pareilles de leur coron, noyées elles aussi dans le gris.

La pierre si proche, familière, avec laquelle il faut se battre, èskèter l’ cayô. Une telle vie, vive bérlike bérloke, le n’importe quoi, valent-ils d’être vécus? D’ailleurs, les grosses têtes ne reçoivent-elles pas toujours les premières cartes (p 14)? On est toujours capot.

Et la conclusion désabusée de la p.18, de la p.22: se sentir dépendants, et de ce fait, inutiles. Les problèmes sociaux sont ici évoqués en termes très simples, avec des images parlantes, sur le ton de la constatation désabusée plutôt que de la contestation. Tristesse plutôt que colère: la colère, elle est rentrée, elle pourrit tout l’intérieur (p.20)

La chanson grêle et grise de la p.32, la plainte à mi-voix, qui était déjà celle, au Moyen-Age, des pauvres gens, celle de Rutebeuf:… et droit au cul quand bise vente/le vent me vient, le vent me hante. Les morts, comme à la p.40, ne sont-ils pas, encore et toujours, nos convives?

Rien de nouveau sous le soleil, rien de nouveau sous les étoiles, que nous n’avons jamais le temps de compter toutes.  Pain gris, de Jean-Marie Kajdanski, a la couleur et l’âpre beauté du Village gris de Jean Tousseul.