Le Monde de Charles Bertin, textes rassemblés par Laurence Pieropan. Archives du futur, AML éditions, 2013, 320 pp.

 

Grâce à un legs des époux Bertin, les AML possèdent un très riche fonds d’archives touchant aux activités diverses de Charles Bertin: poésie, théâtre, romans, articles, essais…C’est Laurence Pieropan, docteur ès lettres, et professeur à la Faculté de Traduction et d’Interprétation de l’Université de Mons, qui a rassemblé les différentes contributions à cet ouvrage.

Un long entretien de Charles Bertin avec Marc Quaghebeur envisage les différents thèmes essentiels: les relations de Bertin avec son oncle Charles Plisnier, qui furent décisives, son attitude face à la religion, telle qu’elle apparaît dans ses romans et ses pièces, son admiration pour l’art roman, la façon dont il envisage son œuvre (Je prends l’ensemble de mon travail littéraire comme un tout, p.71), l’ensemble de sa carrière, depuis son entrée au barreau de Mons, la rencontre de Valéry, l’amitié de Bodart, Tordeur, Mogin, Young, les échanges avec Marcel Thiry, Alexis Curvers, mais aussi Suzanne Lilar et Dominique Rolin….Bref, une vie riche et foisonnante, un auteur très doué dans des genres très divers, mais qui est aussi un gestionnaire – il finira directeur de la SACD…

La contribution de Laurence Pieropan elle-même, Les personnages sur scène: de la théâtralisation de l’Histoire à la cité utopique, s’appuyant sur de nombreuses citations, et remontant à la prime enfance de l’auteur, en passant par l’influence de Plisnier, éclaire le choix des thèmes à venir, leur liaison avec l’histoire plus ou moins lointaine, pour aboutir, avec la dernière pièce, Je reviendrai à Badenburg  , à un personnage qui est confronté, plus que tout autre personnage théâtral de Bertin, à la dimension indéchiffrable de l’existence et à la mort qu’il combat avec succès  pour autrui, sans pouvoir la dompter pour sa propre personne. Elle fait largement appel, pour cette étude, aux documents conservés aux AML, dont on mesure ainsi toute l’importance.

La carrière théâtrale de Bertin, ses rencontres, ses amitiés, seront encore amplement évoquées dans les études de  Heinz Klüppelholz, Pierre Laroche, Martine Renders, Monique Dorsel, Nathalie Boudrenghien note une parenté entre Charles Bertin et Montherlant:parenté surtout dans les thèmes élus, plutôt que connivence profonde, me semble-t-il. Il admirait davantage Giono. Ses amitiés littéraires sont évoquées par Bibiane Fréché et Serge Young, tandis que Gaspard Hons et Lucien Noullez traitent de son rapport à Dieu.

Une fort belle étude de Marie-Ange Bernard retrace, avec clarté et limpidité, l’implication progressive de Bertin dans la politique linguistique belge (Le pays de Charles Bertin: la langue française), jusqu’à la création du Centre culturel et de la Bibliothèque de Rhode-Saint-Genèse. Bertin partageait les convictions du Groupe du Lundi qui, dès 1937, mettait en exergue l’importance de la France et du français: il n’y a pas de littérature belge, mais une littérature française de Belgique, comme il en existe en Picardie, en Normandie. Selon Charles Bertin, la « belgitude » mise en avant par Pierre Mertens est donc un leurre.

Bertin aimait les belles reliures, et sa bibliothèque a été léguée au Musée de Mariemont: Pierre-Jean Foulon nous en fait l’éloge. Il convient aussi de ne pas oublier la pénétrante étude d’Eric Lysoe sur Les Jardins du désert ou la nostalgie de l’aventure, qui, partant de l’étude célèbre de Jacques Rivière sur le roman d’aventures, parue dans la NRF, et passant par le goût toujours affirmé de Bertin pour l’Ile mystérieuse, en vient à étudier le symbolisme des couleurs en cet étrange roman. Enfin, Luc Dellisse dans La fumée, les rires, les rêves, s’attarde aux côtés plus concrets et plus immédiats de l’auteur.

On le voit, une étude très riche et variée, tellement qu’il ne sera plus possible, sans nul doute, d’étudier la vie et l’œuvre de Bertin sans s’y référer. Une belle réussite.

Joseph Bodson