Liliane Schraûwen – Ailleurs – éditions M.E.O. 148 pages – 16 €

Voilà une vraie nouvelliste, qui sait piquer la curiosité du lecteur dès la première ligne et ménager le suspense jusqu’à un dénouement souvent surprenant. Et qui réussit à rendre crédible le fantastique ailleurs où elle nous plonge. D’une plume incisive et précise, elle nous peint à petites touches pittoresques des ambiances plutôt oppressantes, mais pas seulement, comme un peintre cerne petit à petit son sujet jusqu’à l’impression finale du tableau terminé. Tableau étrange, en vérité, à mi¬-chemin entre rêve et cauchemar, entre fantasme et réalité, voyage au pays de l’imaginaire. Derrière la porte, première nouvelle du livre, ouvre sur un monde inquiétant, où tout peut arriver.
Mais ce fantastique est bien ancré dans la réalité et n’est pas vide de sens, simple amusement littéraire et distrayant. Il résonne d’une profonde réflexion sur le monde et sur ses contingences, et révèle une personne d’une grande sensibilité et d’une grande intelligence. Ainsi, dans la nouvelle La Conférence – publiée dans la revue Marginales n° 260, sur le thème « introuvable travail » – Liliane Schraûwen livre des réflexions très intéressantes, tout en ménageant le suspense inhérent à une nouvelle. Dans la nouvelle L’Enquête – également publiée dans la revue Marginales – elle met en scène une femme qui s’est mis en tête de rechercher la Lolita de Nabokov devenue quinquagénaire, et cette nouvelle m’a particulièrement frappée du fait que je suis justement en train de lire la Lolita de Nabokov en ce moment – il n’y a pas de hasard – et voir la narratrice suivre le parcours d’Humbert Humbert et de sa nymphette était particulièrement parlant pour moi. Quant au dénouement, il se comprend fort bien. Là plus de fantasme, la réalité nous rattrape, aigüe et cruelle.
L’auteur explore ainsi à coups de mots enchanteurs et dans un langage coloré les champs broussailleux de la vie et de la mort (qui en est l’autre versant), les champs de la réalité et de l’imaginaire – où commence l’une, où finit l’autre ? Notre réalité, après tout, n’est jamais que perception de nos sens et interprétation de nos cerveaux… Chacun construit la sienne. Où est la frontière entre soi et l’autre, entre les jumeaux si semblables, entre la femme solitaire et l’homme si logiquement complémentaire trouvé sur internet, entre les morts et les vivants, entre soi et Dieu ? La solitude est souffrance, la relation est difficile. Et si tout se tenait, ne formait qu’un dans l’Univers ? On joue sur l’effet miroir, sur le concept de temps, de voyage hors du corps, de connaissance de soi, sur la complexité des relations … tout cela dans des anecdotes vibrant d’une vie intense et passionnée jusqu’à la mort terriblement présente, fatale ou apaisante.
La première nouvelle ouvre sur le néant, la dernière se ferme sur le vide. Entre les deux, la vie. Belle quand même, et on la savoure au fil des récits.
Isabelle Fable