Luc Beyer de Ryke, Ils avaient leurs raisons, Editions Mols, 2016, 205 pp.

Ce livre qui concerne la collaboration en Flandre à l’occasion des guerres 14-18 et 40-45 n’est pas à cantonner dans le seul domaine de l’histoire. C’est qu’il interroge aussi la Belgique d’aujourd’hui. Le ministre de l’Intérieur de l’actuel gouvernement, Jan Jambon, n’a-t-il pas déclenché d’âpres discussions lorsqu’il a déclaré à « La Libre Belgique », quelques jours après sa nomination, que les collaborateurs avec le régime nazi « avaient leurs raisons » ?

Il y a ici les hommes qu’a rencontrés Luc Beyer, soit directement, comme Oswald van Ooteghem, qui rêvait et continue de rêver d’ « Une Flandre libre dans une nouvelle Europe », engagé dans la Waffen SS et combattant sur le front le l’Est, soit par descendants interposés, comme René Lagrou, au VNV depuis 1933, Sturmbannführer à la Langemark (division SS flamande),  faisant office de ministre des affaires intérieures du « gouvernement flamand » en exil, à Berlin, dont le chef de cabinet est le jeune André Leysen, qui deviendra patron d’Agfa-Gevaert, puis président de la F.E.B. De très belles pages sont aussi consacrées aux « plumes et pinceaux de la collaboration ».

On reste songeur devant ces hommes, comme devant cette nébuleuse d’organisations, de mouvements, de partis passés et actuels: le Verdinaso (Verbond van Dietsche Nationaal Solidaristen) dont le « leider » fut Joris Van Severen  la VNJ (Vlaamse Nationale Jeugd),  la Volksunie, le Vlaams Blok, le VNV, la N-VA, « émotionnellement…. liée à la collaboration »,etc….

Mais, pour ce qui est des hommes,  qu’ils soient fils de notaire comme Van Severen, ou issus de petits paysans flamands, comme Lagrou, ils cultivent une mystique de la langue, leur langue, et beaucoup seront confrontés dans les tranchées à la morgue des officiers francophones. La paix, que ce soit en 1918 ou en 1945, ne reviendra pas pour tout le monde : des « choses » ne peuvent s’oublier : «…  Les déchirures  demeurent ; Celles qu’avait avivées la Flamenpolitik ». Et puis, Luc Beyer met également en évidence le rôle de l’église catholique : « La Flandre flamingante est aussi profondément catholique » et beaucoup s’engageront aussi pour défendre Rome contre Moscou. On lui sait par ailleurs  gré de mettre l’accent sur un « mouvement » qui n’est peut-être pas assez connu des Wallons, et pourtant … : l’orangisme qui est sentiment et résistance francophones… Et il est vrai que Guillaume I veilla également à la prospérité des bassins industriels de Liège et du Hainaut…

Enfin, on découvrira ici, entre autres, une Flandre  en kaléidoscope : de curieux monuments (celui évoquant les personnages de l’œuvre de De Pileecyn), de rassemblements (celui de Stekene en mémoire des Waffen SS flamands tombés à l’Est), d’auteurs mystiques (Hadewijch, figure du mouvement béguinal), de paysages rappelant ceux de Marie Gevers, etc….

Ce livre, à travers la saisie du Mouvement  flamand, aidera à une meilleure compréhension de la Belgique.

                                                                                                            Michel Westrade