bailly-imaginaireFantastique, fantasy, science-fiction

Marc Bailly, La Belgique imaginaire. Anthologie Tome 1, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2015, 288 p.

Riche idée que de composer une anthologie consacrée à l’imaginaire avec, pour la plupart, des auteurs moins connus que ceux qui composent d’habitude les recueils collectifs tels que Franz Hellens, Jean Ray, Thomas Owen, Jacques Sternberg… Dans celui-ci, à part Baronian et Mercier, les autres appartiennent à une génération plus jeune.

Comme la majorité des auteurs sont d’après 1950, nous sommes, en général, assez loin du « réalisme magique » ou du « fantastique réel » qui a baigné une part non négligeable de la littérature belge. Paul Willems et Xavier Hanotte en restent deux représentants éminents. On trouve ici des échantillons appartenant à trois domaines littéraires que Bruno Peeters définit ainsi dans sa postface : « le fantastique exprime l’angoisse, la fantasy la quête mystique, et la science-fiction la question du devenir ».

Avec Nicolas Ancion (1971), nous voici d’emblée dans un monde absurde qui ressemble à la fois à des tableaux de Jérôme Bosch et à l’humour décalé façon Monty Python, voire à un Petit Prince qui aurait atterri sur d’autres planètes que celle de notre fantasmagorique terrestre. Christophe Collins (1970), comme un de ses personnages, manie « l’humour, le second degré et l’ironie ». Il y a au surplus dans sa légende des origines de la canonisation une bonne dose d’impertinence plutôt réjouissante.

Nadine Monfils (1953) prend pour matière le parler populaire et son ton direct, gouailleur pour narrer une existence très effrontément marginale. Michel Rozenberg (1959) mise sur deux niveaux : il raconte l’enquête d’un inspecteur de police qui lit ce que raconte le journal intime d’une victime ; cette mise en abyme du récit au cœur d’une histoire « digne des films d’horreur les plus trashs » vire vers une sorte de vertige dans lequel on s’enferme.

Jean-Baptiste Baronian (1942), le doyen de cette sélection, nous sert un récit fidèle au schéma traditionnel du fantastique où s’entremêle un télescopage temporel sur fond de réalisme quotidien. Frédéric Livyns (1970) rappelle qu’une maison peut être hantée surtout si elle se situe à la frontière entre deux mondes. Frank Roger (1957) bouleverse le temps, invente un univers soumis aux livres comme si la réalité était une bibliothèque à l’infini.

Véronique Biefnot (1961) reprend le thème du double ou de la gémellité et celui du scientifique capable d’interférer sur le cours d’une vie, rejoignant le fantasme de l’éternelle jeunesse, mêlant ainsi mystère et science-fiction. En mission spatiale, le personnage imaginé par Jacques Mercier (1943) insiste sur la relativité de l’importance qu’un individu a lorsqu’il s’agit d’une aventure collective.

Christo Datso (1958) a l’apocalypse optimiste. Lorsque deux univers se heurtent, les survivants deviennent soudain des êtres libérés. En pleine science-fiction, Christophe Kaufman (1968) nous entraîne dans une cynique quête de bonheur que l’absurde vient réduire à néant. Adriana Lorusso (1946) a trouvé la meilleure façon de se débarrasser des enfants insupportables en usant d’un gadget aux antipodes des théories de Françoise Dolto.  La longue nouvelle de Marc Van Buggenhout (1958) allie SF et polar, laissant part belle à la technologie d’autant que le rebondissement final n’est pas tout fait ce qu’on avait imaginé.

Sur le ton des légendes d’autrefois, Serge Delsemme (1954) explore un impossible devenu crédible tout simplement parce que quelqu’un le formule comme une sorte d’innocence originelle. Avec Ambre Dubois (1979), la cadette de cette sélection, revoici une plongée dans l’univers des « Mille et une nuits ». Sa nouvelle oscille entre le fantasme et le paranormal pour parler de la beauté trop éphémère qui est à la merci de l’âge mais aussi de la jalousie.

Restant dans l’orientalisme, Pierre Efratas (1951) nous replonge dans le conte classique du bon génie préposé à la réalisation de trois vœux. L’intérêt est qu’il joue avec les stéréotypes, pratique un humour permanent. Il s’amuse visiblement des conventions, prend son lecteur à parti, aime accumuler les comparaisons insolites, désamorce des anachronismes. Gudule (1945-2015), qui a parfois signé des livres sous le nom de Anne Duguël, poursuit l’incursion du côté des contes orientaux. Il s’agit ici d’un sortilège susceptible de transcender les sensations sexuelles dont la fin est cruelle. Le conte de fée a encore des adeptes. Mythic (1947) est un de ceux-là. Son anti-héros compte sur la magie féérique pour réussir une ascension sociale et amoureuse. Ce qui ne va pas sans dérision, oh non !

Dominique Warfa (1954) prend un plaisir malin à jouer avec la littérature à la fois dans l’écriture et au travers d’allusions se référant à des romans ou des films très divers, le tout situé dans les Hautes Fagnes. Quant à Ouri Wesoly (??), il accompagne une des filles qui sont chargées d’entrer dans les cerveaux de leurs clients par télépathie comme d’autres ouvrent les cuisses pour le plaisir du corps.

Michel Voiturier