LES SAGAS DANS LES LITTERATURES FRANCOPHONES ET LUSOPHONES AU XX° SIECLErc, sous la direction de Marc QUAGHEBEUR, Archives & Musée de la littérature, Collection « Documents pour l’Histoire des Francophonies/Théorie », n° 36, P.I.E. Peter Lang, 2013.

« Saga » : le terme évoque d’emblée le Grand Nord, ce miracle islandais qui fit naître, entre 1180 et 1350, « une littérature qui, en quantité… en qualité aussi…. bat tous les records de ce l’Occident a pu faire » (Régis BOYER, Au nom du Viking, Les Belles Lettres, 2002, p. 185).

Mais le genre était appelé à dépasser ces frontières. C’est qu’à travers les aléas de l’histoire, le désenchantement des mondes, il allait trouver sa voie jusqu’à notre époque : de la Saga de saint Olafr (vers 1225)  à la télévision et Hélène et les garçons, jusqu’à l’apparition, en 1980, du storytelling. On renvoie ici le lecteur à la passionnante étude d’André HUET : « Il était une fois la saga, les médias et nous ». On découvrira, par ailleurs, la modernité du concept, entre autres, à travers la relecture du Régiment noir  et la poétique d’Henri Bauchau (Elise Machot), le cycle du Prince d’Olzheim de Pierre Nothomb (Marc Quaghebeur), l’Orient d’Amin Maalouf (Yves Chemla), l’Angola du romancier Pepetela et son roman Yaka (Rosàrio Cunha)

Dans une deuxième partie dont le premier volet est consacré à « L’identité diasporique »,  Bernadette Desorbray rejoint, avec les graffitis de Chambord, d’Olivia Elkaim, le thème de la transmission générationnelle, constante de la saga, qui nous rapproche de la nécessité de retrouver le Nom, thématique que l’on retrouve par ailleurs chez George Steiner et Paul Celan. Ce faisant, elle se rattache à Albert Cohen (on lira l’intéressante étude de Joseph Brami) et sa saga des Solal, aborde Charles Lewinsky et Régine Robin.  Ce premier volet se clôt  avec la passionnante lecture du Livre des Rabinovitch de Philippe Blasband que nous propose Michel Voiturier, celui-ci y retrouvant « une triple recherche d’identité : celle de soi, celle de son rapport à la judaïté, celle de son appartenance à la famille ». Le récit  Tu le leur diras de Clémentine M. Faïk-Nzuji et l’odyssée de Kateb Yacine respectivement relus par Maurice Amuri Mpala-Lutebele et Chloé Money constituent le second volet, intitulé « Recouvrement d’une parole mythique ».

La troisième partie, « Aux dieux mânes », nous propose une invitation au voyage :  Brésil (Sagas du peuple brésilien avec Vive le peuple brésilien de Joao Ubaldo Ribeiro) et Québec (genre polyphonique de la Saga des Béothuks de Bernard Assiniwi), ces deux domaines  donnant voix aux exclus, aux oubliés. Retour à l’Afrique subsaharienne,au Mali (sur l’identité peule avec Hamadou Hampata Bâ et Tierno Monénembo dessinant  un hexagramme pour éviter l’exclusion – ou pire -, l’étoile jaune…), à la Suisse romande, où l’on ne peut parler de saga, « les évènements historiques romands (étant) peu susceptibles de susciter un récit plus ou moins héroïque » selon Yves BRIDEL, au Congo avec la saga des métamorphoses de Deux vies, un temps nouveau de Ngombo Mbala. On revient au domaine lusitanien , plus précisément  à Almeida Faria dont l’oeuvre développe notamment un univers névrotique.

Cette troisième partie se clôture avec l’Afrique des griots qui « chantent l’exploit singulier ou collectif d’un chef », où il est question du « moment « griot »du texte homérique ». Enfin, Pierre Mertens, sa fascination des épiphanies, son « détournement du genre de la saga » et ses « romans de désapprentissage ».

On saluera, pour cette dernière partie, dans l’ordre où nous avons repris leurs contributions : Leonor Lourenço de Abreu, Peter Klaus, Silvia Riva, Yves Bridel, Jean-Claude Kangomba, Cristina Robalo Cordeiro, Nabile Farès et Marie-France Renard, sans omettre Christophe Meurée, auteur d’une remarquable  conclusion.

 

La question était de savoir ce qu’il était advenu de la Saga. Qu’on nous permette, pour conclure, d’emprunter à l’avant-propos de Marc QUAGHEBEUR : « Dans ce genre décidément prolifique, et à travers les multiples jeux qui n’en laissent pas moins voir un vrai fil rouge, ce livre fait entrer dans une polyphonie assez caractéristique du siècle, qui ne relève pas pour autant de l’atomisation et de l’éparpillement ».

On ne peut terminer sans saluer la collection dirigée par Marc QUAGHEBEUR, qui nous propose des ouvrages de qualité qui sortent de sentiers battus.

  Michel WESTRADE