Marcio Alexandre Cruz, Carlos Piovezani et Pierre-Yves Testenoire (dir), Le discours et le texte: Saussure en héritage. Academia- L’Harmattan, 220 pp, 23 €.

Il s’agit en fait d’une série de contributions, dues à des linguistes français et brésiliens.

Comme on le sait, la linguistique a été – est toujours – une science humaine très à la mode, qui a servi de pivot, pour ainsi dire, à une modification importante intervenue dans la texture même d’autres sciences humaines, jusqu’à donner son nom à une école, le structuralisme, qui a un peu perdu aujourd’hui de sa faveur, mais qui a profondément marqué notre époque, notamment par les grands noms qui l’on illustrée, ne serait-ce que Foucault, Roland Barthes, Levis-Strauss, pour ne citer qu’eux.

C’est Ferdinand de Saussure que l’on peut considérer comme le père de la « linguistique nouvelle », qui sera, comme les autres disciplines voisines, synchronique plutôt que diachronique, suivant une présentation un peu simplifiée. L’essentiel de sa doctrine était renfermé dans son Cours de linguistique générale (1916). Après la vogue du structuralisme, les idées de Saussure avaient été quelque peu oubliées, jusqu’au moment où l’on « retrouva » à une date assez récente (en fait, il s’agit de la publication de nombreuses notes manuscrites) d’autres textes de Saussure, moins structuralistes  que CLG, ce qui relança le débat, et le remit au premier plan.

La linguistique est une science difficile, ne serait-ce que par les appellations multiples dont usent les linguistes pour désigner des réalités parfois fort proches l’une de l’autre. Ceci ne facilite en rien la tâche du spécialiste, et encore moins celle du lecteur. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir le beau livre de Paul Ricoeur, La métaphore vive, souvent cité ici, et qui est un remarquable répertoire historique des tentatives d’explication des figures de style, notamment la comparaison, la métaphore, la synecdoque.

Et c’est justement l’avantage du présent ouvrage que d’offrir, chacun sur des points assez précis, d’utiles éclaircissements dont l’ensemble explicite assez clairement l’évolution que subit, au fil du temps, la lecture de Saussure par les linguistes qui l’ont suivi. Ainsi, en terminant L’émergence de la notion de discours en France et les destins du saussurisme, Christian Puech, note-t-il que l’idée « Saussure fondateur du structuralisme » n’est qu’un raccourci commode.Luiza Milano et Valdir do Nascimento Flores, quant à eux, examinent la part qui revient à Saussure dans les théories de Jakobson (c’est à celui-ci que l’on doit le premier emploi du terme structuralisme), Jakobson qui citera notamment la formule de Saussure: » les phonèmes sont avant tout des entités oppositives, relatives et négatives ». Il reprend à Saussure la notion de langue en tant que système, et non comme un conglomérat de formes  (p.51). Enfin (p.52), la grande nouveauté de Jakobson sera d’appliquer les concepts de métaphore et de métonymie à l’aphasie. Il réalisera ainsi le couplage de la métaphore et de la métonymie. Pour lui, et c’est sans doute le point qui nous intéresse le plus, la poéticité n’est pas d’ajouter au discours des ornements rhétoriques. Elle implique, au contraire, une réévaluation complète du discours et de tous ses composants, quels qu’ils soient. (p.62)

Vient ensuite de de Marcio Alexandre Cruz, Pêcheux, lecteur du Cours de linguistique générale, tandis qu’après lui Carlos Piovezani étudie Le Cours de linguistique générale dans l’analyse du discours en France et au Brésil. Il y distingue quatre étapes: une première réception – plutôt négative – qui suit immédiatement sa publication, la linguistique des cercles de l’entre-deux guerres, celle du structuralisme de l’après-guerre, enfin celle qui suit la découverte et la publication de ses manuscrits, depuis la fin des années  1950. Pierre-Yves Testenoire, quant à lui, a intitulé sa contribution: Ce que les théories du discours doivent à Saussure: note sur la note dite « sur le discours » Il y insiste notamment sur les discussions, notamment chez Benveniste et Pêcheux, sur la distinction langue-pensée chez Saussure. De plus, encore une fois, l’élargissement du corpus saussurien se révèle primordial. La publication des Etudes de linguistique générale (le titre n’est pas de Saussure) entraînera la relecture des textes anciens, notamment des notes de ses étudiants.

Pointons encore, de Clemilton Lopes Pinheiro, Les recherches de Ferdinand de Saussure sur les légendes: en quel sens peut-on parler d’études de textes?, tandis qu’en fin de parcours Jean-Jacques Courtine livre une curieuse étude sur Saussure chez les spirites. A la recherche de l’inconscient linguistique.

Insistons encore une fois sur l’importance de ce recueil, qui permet, même aux profanes, de se faire une idée de théories qui ont profondément marqué notre époque, tant sur le plan de la linguistique que, par une sorte de ricochet, sur la plupart des sciences humaines de notre époque. Même si le structuralisme, aujourd’hui, n’a plus la cote, il est difficile d’en faire l’économie si l’on veut comprendre d’où nous venons en ces domaines…et où nous allons.

Joseph Bodson