Faire des mains et des pieds, par Marianne KIRSCH, dessins de Virginie STRICANNE, Les déjeuners sur l’herbe, 2013, 18 euros.

 

Qui n’a utilisé cette expression, qui ne l’a entendue ? C’est, chaque fois, sans se rendre compte de ce que revêtent ces mots.

Et bien il fallait rendre leur être à ces mains et ces pieds. C’est  ce que font, Marianne KIRSCH et Virginie STRICANNE.

Dans la langue hébraïque, la main, se dit « Yod ». Et Yod est aussi une lettre,  la première  du tétragramme (YHWH)  désignant Dieu ; elle  se rattache à la connaissance, non pas intellectuelle, mais relevant du concret.  Ainsi en va-t-il de l’homme qui « connaît » une femme. Il s’agit ici d’aller au plus profond des êtres. Qui n’a, par ailleurs, en mémoire le Christ de la basilique d’Autun, aux mains démesurément longues : c’est l’Homme connaissant.  On n’oubliera pas, par ailleurs, les anciennes traditions représentant Œdipe comme l’homme au pied blessé, ou Eve mordue au pied par le serpent, etc…. Ainsi signifient les mains et les pieds !

Marianne KIRSCH refait connaissance avec « le gros orteil paternel ». Elle procède de « lui » qui « déploie les mains/ blason sur ses terres…./Sceau royal sans arrogance aucune »,  et la phrase de serpenter en son cours superbe. Ailleurs, c’est  « elle » qui « laisse les mains se refroidir       se ratatiner/la vieillir » et la phrase d’émouvoir en son flot nostalgique. IL/ELLE, comme une cantate dévoilant des gestes en ce qu’ils signifient et ce sont à travers IL/ELLE de multiples personnages qui nous interpellent en leur vérité, qui font éclore toute la symbolique de l’être.  Poésie qui pénètre le noyau du réel, qui va « par-delà » (pour reprendre NIETZSCHE), nouveau regard sur ces « pieds       orvets          enrouleurs d’ovaires », sur ces « mains écureuils/ à la grimpette allègre).  Il y a ceux qui ne savent rien faire de leurs mains, mais Marianne KIRSCH nous parle de celui qui « a abondamment fréquenté l’enclume », de celui qui « peint le visage élu de ses mains douces », d’ « elle » qui, « de ses mains … lève le dessin » ou qui « bague les mains avec soin     économie ». Hommage tracé au fusain, d’un trait juste, précis, des mains qui travaillent. Et l’on se prend à se remémorer des mains de mère, douces, à effacer les moustaches en chocolat de l’enfant, à soulager ses genoux écorchés, ou des mains de père, dures, calleuses des travaux de la ferme, des mains projetant l’enfant en l’air… là d’où il n’est peut-être jamais revenu.

Il nous faut, des deux mains, applaudir Marianne KIRSCH et Virginie STRICANNE dont le dessin s’articule si bien sur le poème. Et peu nous importe si la Vénus de Milo en conçoit quelque courroux.

 

Michel WESTRADE