Marianne Kirsch, La terre au fond des poches, Merlin, Déjeuners sur l’herbe, 2017, 46 p.

Hier, être cul-terreux fut vraiment une façon d’appartenir à la terre

Être née dans le profond de la campagne au milieu du XXe siècle, alors que tout est en train de changer, alors que l’écart entre l’urbain et le rural se creuse, cela laisse des marques dans la chair et dans l’esprit. Et pour exprimer cela, Marianne Kirsch a choisi des mots simples, des vers plutôt clairs parce que concrets.

D’abord, il y a le naturel face, déjà durant l’enfance, aux codes de la bienséance sociale ou sanitaire, à l’industriel uniformisé. Cela va du lait « chaud encore /bu/ au cul de la vache » au fumier qui parfume la rue principale. Cela va « des tartes  empilées / nouées dans des essuies » lors de la fête villageoise aux sauts d’enfance sur les ballots de paille. Cela va du « café / toute la journée/ sur le coin de la cuisinière » aux chats nourris avec « les restes / des dessous de table ».

Les différences entre hier, lorsque c’était encore entre « le troc ou / le don », et aujourd’hui, avec « les bois / étêtés / par l’autoroute », sont comparées avec bonhomie, sans mélancolie pleurnicharde, sans mépris pour les errements du présent mais avec un humour caustiquement tendre. Pas de longues études pour les agriculteurs car « tous les sens s’exerçaient / recevaient les informations / et une marge d’erreurs / très faible ».  Tout un monde défini en quelques phrases brèves : « Les animaux soignés / cajolés/ le vétérinaire connaît le chemin / devient un fidèle // Le médecin de famille l’envie ».

La sensualité ne se perçoit pas dans la musique des mots mais dans les actes. La paupérisation fermière tient autant dans la parcimonie des vocables que dans la suspicion sur les dépenses et l’impératif de revêtir les « habits endimanchés » pour la photo des grands jours de l’existence.

Derrière les vers, Marianne Kirsch a dressé le panorama d’un univers en train de disparaître. Elle n’a pas trouvé, semble-t-il, d’équivalents positifs actuels à travers ce qui subsiste des campagnes. Son constat en dit bien autant que des alignements de statistiques. Chaque poème, après une esquisse de situation ou d’événement, égrène quelques précisions puis, en une ellipse souvent brusque, bascule dans une réalité sans appel.

Michel Voiturier