slusznyMarianne Sluszny, Un bouquet de coquelicots, nouvelles, Paris, La Différence, 2014

 

Les sept nouvelles composant ce livre sont des monologues autobiographiques d’êtres ayant vécu durant la guerre 14-18. L’auteure les a créés à partir de recherches documentaires effectuées pour son employeur, la RTBF (Radio Télévision belge francophone). Il y a donc ici conjonction entre réalité et fiction chez une de nos contemporaines qui, n’ayant évidemment pas connu cette époque, donne la parole à des témoins ayant réellement ou potentiellement existé.

L’ancrage de chaque histoire est bien de nos régions : Andenne, Anvers, Bruxelles, Charleroi, Dixmude, Gand, Jambes, La Panne, Malines, Musson, Namur, Oeren, Ypres … Chaque locuteur retrace une part de sa vie et surtout son implication dans la guerre. Quasiment chaque histoire débute par « je suis né ». Deux relèvent de l’insolite. Le premier appelé à comparaitre n’est autre que le… Soldat inconnu dont la dépouille anonyme a été choisie de manière hasardeuse par un soldat devenu aveugle à cause du gaz moutarde. Le second est la confession d’un pigeon voyageur qui échappa au camp de concentration imaginé par les occupants pour les empêcher, lui et ses congénères, de transporter des messages subversifs ou des communications stratégiques.

Articulées autour de l’émotion, trois nouvelles sont particulièrement bouleversantes. Celle, en premier lieu, de Jeannette, mère de famille dont le mari est incorporé et qui finit par se prostituer avec des envahisseurs. Après l’armistice, elle sera ignominieusement punie par la populace haineuse « comme si nous n’avions pas été, explique-t-elle, les plus vulnérables, abandonnées à nous-mêmes pour faire vivre nos familles ». Ensuite celle de  Cécile, fille de grand patron libéral, qui préfère devenir infirmière plutôt qu’épouser un autre patron. Elle accompagnera jusqu’à son dernier souffle un soldat aux idées socialistes dont l’état physique se dégrade suite à une balle dans la tête. Enfin, voici, extrait de l’oubli des minorités, Albert le Congolais, immigré devenu invalide suite à une tuberculose pulmonaire contractée en 1915 dans un camp allemand, luttant en vue d’une reconnaissance officielle avant de mourir.

Deux confessions interpellent. L’une dénonce à sa manière l’absurdité des combats. Elle conte le destin d’un jeune musicien que le fracas des obus et des tirs rend sourd et qui, au milieu de l’enfer des massacres, ne cherche plus qu’à en finir. L’autre appartient à un jeune prolétaire flamand fasciné et endoctriné par un vicaire nationaliste ; il ne comprend plus, une fois dans la tourmente, le discours séparatiste alors qu’il a vu, enlacés, les cadavres de son frère et d’un compagnon wallon.

On l’aura compris, Marianne Sluszny donne, à travers le choix de ses personnages, un panorama diversifié d’échantillons de la société belge où se retrouvent ouvriers et bourgeois, francophones et néerlandophones, tous victimes d’une destinée qui n’aurait pas due être la leur. Elle envoie aussi un message pacifiste et un appel à la mémoire collective. Un seul regret, celui du fait que l’auteure n’ait pas personnalisé les voix car son style, en dehors de quelques éléments de vocabulaire propres à chacun, use d’un langage et d’un ton fort similaires pour tous.

Michel Voiturier