Marie-Monique Houart, La vieille dame qui inventait sa vie, roman, éd. Le Carnet

Un livre hallucinant, pour qui a fréquenté de près des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Tout y est: l’oubli des jours, des semaines, des années. L’oubli des noms, des visages. Les faux souvenirs que l’on invente pour camoufler ces oublis. Les noms que l’on soutire, mine de rien, à l’interlocuteur, parce qu’on les a soi-même oubliés. Les soins maniaques apportés à des objets, des circonstances de la vie quotidienne. Le refus de reconnaître la maladie, les circonlocutions, les circonvallations. Jusqu’à se retrouver, à force de cachotteries, prise à son propre jeu, en ce face à face que l’on ne peut éluder, au cœur le plus secret de la forteresse vide, devant la grande divinité, l’inexorable: la Solitude.

Et pourtant, cette Marianne, au fil du récit, au fil de ses ruses, nous finissons par nous prendre de sympathie pour elle, pour jouer son jeu, espérer qu’elle gagne. Elle a la chance d’avoir une nombreuse famille, qui lui est proche, qui prend soin d’elle, mais qui finit toujours par se heurter à ce mur. Et il y aura les comparses, les médecins, les infirmières, ce jeu nouveau avec le temps, celui des hôpitaux, dont on espère sortir vite, le plus vite possible, ce retour à l’enfance, celle des internats et des congés lointains. Les menus objets, les menues gâteries prennent un relief extraordinaire. Oui, l’entrée en vieillesse, c’est un retour à l’enfance, le bonheur en moins. C’est qu’entre les deux, nous avons vieilli, la vie nous a usés.

C’est un véritable tour de force, encore une fois que ce livre. Parce que Marie-Monique Houart nous décrit tout cela non point vu d’en haut, en tant qu’écrivain-Dieu le Père, ni de face ou de côté, en observateur attentif. Non, elle écrit depuis le cœur même de cette citadelle, et comme si tout se passait dans son cerveau à elle, et c’est extraordinairement vivant.

Joseph Bodson