Martine Rouhart, La solitude des étoiles, éd. Murmure des soirs. Postface de Françoise Houdart.

Comme Françoise Houdart le note fort bien dans sa préface, Martine Rouhart a eu l’excellente idée mettre en exergue de ses chapitres des citations se rapportant à l’astronomie, de Hubert Reeves et d’autres astronomes. De plus, la mère de l’héroïne, Suzanne, intervient elle aussi, balisant la progression du récit, et nous apportant un éclairage nouveau sur la psychologie de Camille.

Je ne vais pas vous raconter l’histoire. Disons seulement que deux personnages en quête de solitude, l’une pour une brève période, l’autre de longue durée. Ainsi en va-t-il des étoiles jumelles, qui peuvent se croiser, même à longue distance, sans danger de collision. Camille et Théodore (don de Dieu) vont se rencontrer, se voir, se parler, alors que tout, le milieu, la culture, l’insertion dans la société, devrait les séparer. Une leçon à en tirer (mais non, monsieur Gide, les « bons sentiments » ne font pas que de la mauvaise littérature), c’est que toutes nos rencontres, même brèves, sur le quai d’une gare, dans le tram, l’éclat d’un regard, la gentillesse d’un sourire, pèsent lourd, parfois, sans la balance d’une destinée (souvenez-vous de Brassens: Toi l’Auvergnat qui sans façons d’un air malheureux m’as souri…)

Il y a chez Martine Rouhart une fraîcheur d’âme, une finesse d’esprit, un sentiment, aussi, de la nature, du ciel, des arbres, qui d’emblée conquièrent le lecteur. Ecoutez-la plutôt, à la page 12: Je peux demeurer ainsi pendant un temps infini, parfaitement immobile, enroulée sur moi-même dans l’intimité de ma nuit, dans un état de présence-absence. C’est à cette heure-ci que je jouis le plus intensément de ma vie intérieure. Un instant à la pointe du jour que je renouvelle chaque matin. Une joie un peu irréelle qui s’évapore telle une fumée et laisse un goût de vide; il manque quelqu’un avec qui la partager.

Il y a en ces quelques phrases bien plus qu’une belle description d’un petit bonheur matinal. Une grande idée, c’est que seuls ceux qui peuvent s’isoler, prendre la mesure de leur solitude, sont capables de s’ouvrir aux autres. L’idée tout aussi profonde que ces moments ne sont pas simplement le fruit du hasard ou d’une discipline quelconque, mais que leur fugacité – tout instant est instable – est peut-être même l’élément essentiel de leur charme, qui par quelque point touche à l’éternité. Ils ne peuvent donc se fabriquer à notre guise, se reproduire en série. Ils nous demandent simplement de l’attention, de la disponibilité. L’idée qui m’en vient serait plutôt celle du pêcheur et de sa longue guette. Quel beau métier, que d’être pêcheur d’éternité!

Et puis, bien sûr, il y a des coups de foudre, dans l’amitié comme dans l’amour. Et c’est bien le propos de ce livre: l’histoire d’une amitié. Un évènement qui modifie le rythme du temps. Tout ici est imprégné de pudeur, de tendresse, en contraste avec l’aspect fruste de l’homme sauvage (un personnage, d’ailleurs, qui se trouve dès les origines de notre littérature, et même de notre folklore; n’y a-t-il pas à Bruxelles une Rue de l’homme sauvage?), et les personnages du Comme il vous plaira de Shakespeare, dans la forêt d’Ardenne, ne sont-ils pas à la recherche de leur double, afin de pouvoir reconstruire leur unité? Il se dégage de ce contraste une grande paix, une autre approche de l’éternité. Chaque homme dans sa nuit marche vers sa lumière. Et ce livre est un porteur de lumière.

Joseph Bodson