Martine Rouhart, Puzzle, Tenneville, Editions Memory, 2013,153 p. 16 euros

Après un premier roman paru en 2012, “ Au fil des pages, Martine Rouhart se lance cette fois dans une vaste saga familiale de remémoration, dont le ressort de plus en plus tendu finit par se détendre dans la révélation sans cesse différée d’un lourd secret de famille.

Cette narration  s’étend sur  quatre générations d’une même lignée dont l’auteure nous livre, avant et après le texte, les tableaux  généalogiques curieusement modifiés où figure la narratrice, Martine, jeune étudiante en histoire à Mons, devenue plus tard, professeure d’histoire à Bruxelles ,après un riche mariage avec Thomas qu’elle a préféré à son ami d’enfance, Philippe.

De mars à décembre 2002, elle relate mois par mois dans son journal, peu après la mort de sa grand-mère Alice, les progrès qu’elle fait dans sa volonté de percer  ledit secret. Comme elle n’arrive pas à avancer dans son travail de fin d’études dont le sujet est la Résistance dans la dernière guerre, elle décide d’enquêter à partir du legs laissé par Alice.

En contrepoint, on retrouve la même narratrice, mais dix ans plus tard cette fois : elle est devenue professeure d’histoire, mariée, sans enfant, avec Thomas, banquier brillant qui voudrait lui offrir une seconde résidence cossue, ce qui déclenche en elle un malaise d’abandon d’un mari dominant de plus en plus lointain.

Or, il se fait que la grand-mère de Martine, juste avant sa mort, lui a laissé une grande valise métallique et un sac cramoisi plein de lettres, ayant appartenu à son père Lucien, grand résistant ,chef de réseau, assassiné en 1944 à la suite de la trahison d’un de ses membres.

Face au silence irréductible de sa grand-mère, Martine devine qu’un grand secret empoisonne sa lignée et décide donc de dépouiller mois après mois le contenu de la valise  et du sac.

Dix ans  plus tard, Martine se souvient que son propre père Adrien , sans la moindre explication, abandonna sa propre famille, sa soeur Anne et leur mère Catherine devenue à demi-démente à la suite de la mort accidentelle de leur jeune frère Fabrice tué dans un accident de moto, à 17 ans ; depuis lors, son père n’a plus donné signe de vie…

Ainsi mis en route, le déroulement narratif d’une double enquête parallèle, -l’une, de la  mise au jour des archives du bisaïeul ; l’autre, de la désagrégation progressive du couple bancal de Marie avec Thomas , fait passer le lecteur alternativement  d’une Martine jeune à la Martine en crise conjugale au fur et à mesure que se lèvent peu à peu les coins du voile.

Ce cadre posé, le lecteur  suit parallèlement l’assemblage des pièces du puzzle à chaque indice significatif du secret, dans la double enquête de Martine à la fois dans la recherche des raisons du double abandon de son bisaïeul  comme celui, de son propre père.

D’un côté, c’est ainsi que la jeune Martine, aidée d’un de ses oncles fait une double découverte : dans la valise, en dépouillant le journal de guerre de son bisaïeul, elle découvre que, pour une raison inconnue, Lucien a voulu risquer sa vie sans pour autant cesser d’aimer sa famille, à qui il écrivait sans cesse  sans recevoir de réponse. On y apprend aussi que son engagement visait à expier la mort accidentelle de son jeune fils Louis  tué de sa main dans une altercation dans  la dénonciation par sa sœur Alice d’un geste suspect à son égard.

Cette raison sera finalement trouvée le paquet des lettres de son père qu’Alice  a soustraites à sa mère Jeanne : elle y trouve aussi la longue lettre  de confession  du meurtre involontaire du fils jeté par son propre père dans un ravin, qui explique son engagement dans la Résistance comme un geste d’expiation.

D’autre part, dix ans plus tard, Martine en  pleine cure analytique retrouve son ami d’enfance Philippe qui la soutient à la fois dans l’abandon de son mari Thomas, mis en cause dans une grave escroquerie bancaire, et dans l’enquête sur la disparition de son propre père, Adrien dont, avec son aide, elle retrouve la trace de son décès en tant que sans domicile fixe.

Avec la délivrance de la double révélation, Martine retrouve Philippe à son premier concert de violoncelliste  avec qui elle donnera naissance à leur premier enfant Lily qui s’ajoute ainsi à la lignée des disparus et des vivants de la lignée.

Disons un mot du style remarquable de  ce très beau roman, certes rédigé sous forme d’un double journal, mais, où se glissent, à maintes reprises, de petits tableautins de nature sous forme d’ébauches de proses poétiques émaillées d’images filées d’oiseaux en essor et d’atmosphères florales, riches  de courage et d’espérance dans la quête intérieure  de vérité existentielle.

Saluons aussi son amour de la littérature et de la philosophie : elle réussit en effet à ponctuer son texte de superbes aphorismes frappés en médaille qui font penser  aussi bien à Montaigne, Pascal , La Rochefoucauld, qu’à René Char, et qui, en définitive, lui appartiennent en propre dans un magnifique élan vital !

Jean-Pierre Grandjean.