Maxime Coton, Le geste ordinaire, Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, gravures de Laurence Léonard, 64 p.

Retour vers le père définitivement absent. Introspection de ce qui le séparait du fils et des manques immanquables. Car, comme si souvent, entre l’un et l’autre, entre le manuel et l’intellectuel, s’étale une distance, celle de la  fracture de la langue, celle de l’impossibilité à voir lucidement la relation au-delà des non-dits : « Parfois le mensonge nous guette / Le silence est son supérieur hiérarchique».   Alors, dans ce livre ce sera, dit l’auteur, « Comme si j’écrivais sur toi / Pour à mon tour te mettre au monde » et aussi parce que c’est là que « Je graverai les initiales de la reconnaissance ».

Le père prolétaire était devenu prisonnier derrière les murs de l’usine « nourricière ». À l’aciérie, il exécute de ses mains ; il pratique « le geste ordinaire » aussi bien de river que de sortir de sa mallette « les tartines préparées la vieille ». En effet, un ouvrier soumis n’existe que dans les actes qu’il accomplit durant son travail car seulement doté « D’une existence purement économique ». Il a connu les théories de Marx, vécu « la lutte des classes » et la « faillite d’une utopie ». 

Le fils, lui, écrit avec ses mains, « tente de dire » puisqu’il est capable de regarder avec du recul grâce à l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Il compose des livres qui « sont les outils du pouvoir » mais aussi « du vent     du rêve d’être ailleurs ». Il s’est rebellé, est parti autre part. Mais se sait désormais « héritier d’une dette ».

De cette tension entre deux êtres est né un va-et-vient, une alternance d’avancées et de rejets, dissimulant l’admiration réciproque mâtinée d’un certain mépris d’incompréhension. Ce livre témoigne du besoin de rapprochement. Il dit en mots ordinaires cet élan, cette recherche.

Et précisément l’écriture ne craint pas par moments de traduire le chaotique des sentiments, des contradictions au moyen de ruptures abruptes des constructions syntaxiques, d’ellipses brutales et de phrases en suspens. Le texte décrit le père et montre les doutes ou les tâtonnements qui nourrissent l’auto-analyse de l’écrivain. Les mots montrent le chemin parcouru, nous induisent une émotion forte qui, plus que sentimentale, est existentielle.     

Les gravures de Laurence Léonard, en noir profond sur la couleur du papier, indiquent l’évocation du réel. Elles traduisent parfaitement le fait de suggérer sans restreindre l’imaginaire du lecteur qui, déjà, construit ses images à partir des mots lus.

Michel Voiturier