emmanuellePrix de poésie 2013 de l’AREAW

Premier prix : EMMANUELLE MENARD

 

Pas le droit d’ouvrir

Pas le droit d’ouvrir…

« Quoi, dit la veine, pas le droit d’ouvrir quoi ? »

La blessure a rougi

comme dans un crime parfait

où les yeux sont intacts

et pourtant dépouillés

 

Pas le droit d’ouvrir…

« Quoi dit la main, pas le droit d’ouvrir quoi ? »

Les doigts comme des barreaux

ont repoussé les voix

Juifs errants dans les gorges

aux pieds faits comme des rats

 

Pas le droit d’ouvrir…

« Quoi dit le cœur, pas le droit d’ouvrir quoi ? »

Les secrets ont jauni

au soleil de l’acier

la peau comme un passé

parcheminé de cris

 

Pas le droit d’ouvrir…

« Quoi dit la porte, pas le droit d’ouvrir quoi ? »

Les lèvres ont abdiqué

devant les dents serrées

l’émail comme un silex

un silence dans le vif

 

Quand les bouches osaient presque

Et les langues dansaient nues.


 Hommage à

Derrière ces sales godasses

et ces cheveux filasses

qui tirent la langue

Derrière ces joues bouffies d’ennui

et ces grosses poches sous les yeux

qui collectionnent les nuits

Derrière ces airs de soupe populaire

qui se fractionnent en papier mâché

à la couleur du parchemin

Derrière ces doigts boudins

et ces pouces déformés

qui ne savent plus caresser

Derrière ce visage comme des banalités

que compte le quotidien

Derrière cet entrelacs de ficelles

qu’elle se met autour des reins

Derrière ce front comme des ruines

qui racontent la grande Histoire

et ces mille chemins

qui ont fait sa vie

Derrière ce regard

gribouillé par des espoirs

asservis au destin

Derrière cette plénitude de larmes

qui sert de bénitier au cœur

quand il a enfin compris

Derrière cette chair opaque et flasque

qui pendouille comme un condamné à l’oubli

Derrière ce mur de silence

où les pierres s’amoncellent

tels des mots qui renoncent

il y a la poésie.

 Parole de soleil

Le soleil qui frappe à ma porte

Des Italiens des Bordelais

Et soudain je songe au mur des Lamentations

à tous ces petits papiers de pensées froissées

éparses prières tels des ballons gazés

qui s’accrochent aux failles

font le pendu aux pierres

 

Echo des cœurs que mon cœur entend

Echo des âmes que mon âme n’a pas

 

Le soleil comme la fraternité

un don qui chancelle

sous les vibrations des moteurs

un cahier raturé par le réveil des brumes

 

Le soleil

Le mur

Le la-mentations  des esprits en sursis

 

Combien  faudra-t-il d’hommes

pour n’en faire qu’un seul ?

Combien coûte la parole

qui veut monter au ciel ?

 

Le soleil qui frappe à ma porte

et vient faire des trous dans le bitume

Une musique, une eau vive

un chant de merles attablés au balcon

 

Et soudain je pense à la vie

à ce « ni oui ni non » qui si bien nous définit

à ces petits carreaux que l’on met à nos yeux

pour surtout se garder de sombrer dans la fuite

 

Le soleil

le sceau de cette aile

qui signe nos espoirs et nos rêves en pagaille

Combien faudra-t-il de mots pour écouter la voix ?

Celle qui transpire dans ces murs

à travers villes, Jérusalem

 

Le soleil

La lune

Les deux points cardinaux chez qui l’on se promène…