Michel Brix, Histoire de la Littérature française, De Boeck, 2014.

Sous-titré « Voyage guidé dans les Lettres du XI e au XX e siècle », cet ouvrage de plus de 350 pages, écrit par un professeur de l’Université de Namur, prend le contrepied des manuels français bien connus, Castex et Surer, Lagarde et Michard entre autres, en s’écartant de la sacrosainte division du corpus littéraire en siècles ou périodes. Finis, les volumes séparés, consacrés au Moyen Age, aux XVI e, XVII e… siècles, au profit d’un outil pédagogique envisageant la littérature française dans sa totalité et axé essentiellement sur l’évolution des idées, les filiations, les héritages, les passerelles entre les auteurs étrangers et français. Une formidable gageure, un travail de réflexion et d’écriture qui est le fruit d’une vingtaine d’années de cours donnés aux étudiants de première année en philologie romane. Si, au premier abord, la formule paraît téméraire ou dérangeante et réservée uniquement aux auditeurs qui peuvent suivre un cursus et interroger éventuellement l’enseignant sur les difficultés et l’originalité de sa méthode, elle entraîne pourtant l’adhésion du lecteur, dès les premiers chapitres. D’abord par la clarté de l’exposé, la simplicité du style, dénué de tout pédantisme, et surtout par la pertinence de l’analyse et la connaissance approfondie du sujet. On lit ce fort volume avec passion et un intérêt qui ne se relâche pas, partageant la volonté de l’auteur de montrer la subtile alchimie qui existe entre tradition et innovation, entre écoles, chefs de file, disciples et dissidents, courants et genres… Sans perdre pour autant la chronologie et ignorer les traits distinctifs de chaque période et les moments marquants de la vie de l’écrivain. On sent très vite également que l’auteur cherche à mettre en relief la portée humaine de l’œuvre, sa sincérité, son universalité, sa valeur stylistique au service d’idées nouvelles qui ont favorisé la réflexion, encouragé la culture et aiguisé le goût. Ainsi, par exemple, des pages remarquables consacrées au classicisme ou aux Lumières du XVIII e siècle. Le seul écueil, mais il est de taille, qui risque de désorienter le lecteur, c’est le partage inévitable de cette vaste matière, en trois parties seulement : Moyen Age ; « Ancien Régime » littéraire (XVI e – XIX e siècles) ; Fondation et Règne de la Modernité (XIX e – XX e siècles). Retrouver Du Bellay, Corneille, Perrault, Marivaux, Voltaire, Nerval ou Baudelaire sur la même étagère a de quoi surprendre ou faire sourire. Il faut aborder la dernière section consacrée à la « modernité » pour comprendre en profondeur la thèse de l’auteur, ou du moins sa ligne conductrice et sa conception de la littérature. La découverte de la photographie, et dans la foulée, du cinématographe a, selon lui, détourné la majorité des écrivains de leur mission première de témoin, de miroir, parfois idéalisé, de la réalité, pour les reporter vers leur moi, leur vision personnelle, souvent critique, pessimiste même, comme celle de Flaubert particulièrement, le véritable chef de file de cette révolution intellectuelle. Tout en se voulant réaliste et objectif, l’auteur de « Madame Bovary » n’a-t-il pas plutôt voulu dénigrer son époque et dénoncer la bêtise des gens en s’identifiant complètement à son héroïne ? Michel Brix prend ici hardiment position et ne ménage pas les auteurs, qu’ils soient romanciers ou poètes, qui abusent de leur biographie et la mettent en scène à l’envi, de leurs expériences personnelles les plus intimes ou les plus saugrenues, de leur volonté de se distancier du grand public par une écriture de préférence déroutante ou hermétique et leur souci obsédant de faire passer le seul acte d’écrire, impliquant la liberté absolue, provocante et intouchable du créateur, avant même la transmission d’un message ou d’une pensée accessibles au plus grand nombre. L’ouvrage s’achève par un appel quelque peu amer et désabusé : à quand un nouveau Balzac ? C’est tout dire ! Proposer au sévère professeur l’iconoclaste Michel Houellebecq comme sauveur des Lettres modernes risque de l’indisposer davantage…

                                                                  Michel Ducobu