Michel Cornélis, Ruptures en bord de rêve, Academia Littérature, 134 pages, 14 euros

Voici un roman séduisant à plus d’un titre. Bien construit, bien écrit, original dans sa démarche. Un drame, presque banal, qui tient aussi du conte philosophique, par ses aspects poétiques et oniriques et ses réflexions sur la vie. Le roman lance des questionnements. Sur la dualité qui habite chaque être, sur ses aspirations et contradictions ; sur les effets parfois dévastateurs de l’emprise du travail et du goût du pouvoir ; sur la vie tout court et la mort qui en fait partie.

Le roman est né d’une idée de Michel Cornélis – auteur de romans, nouvelles, pièces de théâtre et scénariste BD- germée lors de l’un de ses séjours au Québec en résidence d’écrivains (plus exactement en Outaouais, sur la rive nord de la rivière du même nom), et de sa complicité avec sept auteurs de cette région.

Il s’agit de l’histoire d’un homme, Olivier Laurier, qui semble perdu et désespéré. Il abrite dans ses poches une lettre encore scellée de son employeur, ainsi qu’un révolver. A le voir sur le pont, face à l’appel de la rivière sombre, on sent d’emblée qu’il est prêt au pire. Olivier pense qu’il a raté sa vie. Prisonnier d’une obsession, celle de gravir les échelons du pouvoir, il est passé à côté des choses essentielles. Son énergie et son temps se sont centrés sur son travail, négligeant tout le reste. Il ne se résout pas à ouvrir la lettre que lui a envoyée son employeur qu’il sait sur le point de restructurer son entreprise : que lui resterait-il au cas où…?

Si  c’est bien la plume de l’auteur qui a noirci l’entièreté des pages et rendu le tout très cohérent, ses amis du Québec devaient imaginer les rencontres d’Oliver tout au long de cette journée, rencontres qui avaient pour mission de tenter de le sauver de sa détresse. C’est ainsi qu’il croise d’abord la route d’un couple qui l’écoute avec une extrême bienveillance et essaye de le raisonner :

Quand des pensées négatives montent, comme celle de ne pas être à la hauteur, nous les chassons, mais c’est souvent à recommencer. La sérénité se gagne, se perd et se regagne, c’est la vie.

Tout en cheminant dans ses pensées et tentant de faire le point, Oliver rencontre ensuite successivement un autre accidenté de la vie, Patrick, diplômé et sans travail, une petite fille rêveuse et pleine de sagesse, une femme en larmes sur un banc, sorte d’âme-sœur d’infortune qui, malgré sa situation, insuffle à Olivier un peu de son courage à elle  Il n’est jamais trop tard. Il faut avoir confiance en l’instant présent éternel(…) Un pas à la fois, tout n’est peut-être pas fini ; un homme rongé par la culpabilité de n’avoir pu sauver une jeune collègue du suicide, …

Entre les récits des différentes rencontres, s’intercalent des chapitres qui se situent dans une chambre d’hôpital et dans un temps que l’on devine postérieur à la longue journée d’Olivier. L’on apprend qu’il s’agit de Catherine, la femme d’Olivier, au chevet de son mari. La parole lui est donnée et, formant contrepoint aux pensées d’Olivier, elle expose sa version à elle des faits, de son couple, sa version sur Olivier. Je me sens stupide, comme une enfant qui a lâché la ficelle de son ballon et qui le regarde s’envoler, impuissante…(…) La face lumineuse que j’avais entrevue lorsqu’Olivier et moi avons décidé de lier nos destins(…)La vie est un rêve et ce que nous appelons la mort n’est qu’une rupture vers un autre rêve dans une suite sans fin. L’instant présent éternel est le pont entre l’ancienne et la nouvelle réalité. La mort est une rupture en bord de rêve.

 Mais pourquoi, comment celui-ci se retrouve-t-il dans cette chambre d’hôpital, que va-t-il advenir ensuite, nous prendrons bien sûr soin de ne pas dévoiler la chute, assez inattendue…

Martine Rouhart