Michel Joiret en collaboration avec Noëlle Lans,
Voyage en pays d’écriture, avant-dire de Pierre Mertens, éditions M.E.O.

Nous avons fait un beau voyage
Reynaldo Hahn, Ciboulette

Au point de départ, un enseignant qui prend conscience d’une crise de la culture : les jeunes qui ne lisent plus, une rupture profonde entre la littérature, qui hélas s’est perdue auprès d’un public jeune – et aussi adulte – en se complaisant en des jeux de mandarins. Une sorte de scrabble ou de sudoku réservé à des gens extrêmement cultivés, qui n’arrêtent pas de se chamailler entre eux.

 

Un remède à proposer ? Un nouvel ancrage à suggérer pour des romans, des poèmes à revisiter. Un croisement du temps et du lieu, qui devrait permettre le retour de l’écrivain en personne – c’est cela qui est important, lire, c’est rencontrer une personne. Déménager, changer de lieu. Revenir en arrière, vers notre jeunesse, notre âge tendre Nous projeter dans une vie autre. Se perdre, pour se retrouver. La perte, le retour. Nostalgie, heimweh…ils sont toujours ce qu’ils étaient.
Et cela commence en Sologne, avec un château mystérieux, perdu dans les bois. Des enfants, calmes, s’y risquent à des jeux étranges, tandis qu’une jeune fille, vue de dos, comme chez Vermeer, joue du piano. Meaulnes est là qui regarde, et qui attend. Un Pierrot perdu dans les bois, Franz. Une histoire qui n’a pas de fin, ou plutôt qui se recommence indéfiniment, sans GPS – rien que des cartes routières, des lieux-dits, des souvenirs. Et la nostalgie.

Marcel allait venir, il suit, lui aussi, les chemins de l’imaginaire ; une enfance églantine, des clochers qui égrènent leurs noms et en oublient d’égrener les heures. Le temps perdu, une autre recherche, tout aussi longue, aussi ardue. Au bout des sentiers, des jeunes filles en fleurs, des salons endimanchés au quotidien, une cathédrale revisitée aux phares, un bourg qui somnole avant de changer de peau. Des volumes et des volumes, un grand fleuve en crue. L’obscur, la nuit, Céleste.

Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?

Chateaubriand, Georges Sand…des arrêts, l’appel des gares au long cours. Des Mémoires à n’en plus finir, le moi tout puissant. Histoire de ma vie. Des campagnes où François le Champi garde ses moutons, sur tranche dorée. L’odeur des vieux livres que l’on a emmenés aux champs. Et puis qui se sucre, s’épaissit pour finir en rahat-lokoum dans une petite maison carrée, chaulée, et la mer qui vient battre les souches, à l’orée du bois. Quand les paysages mêlent leurs racines.
Les flots viennent se briser contre les rochers du Grand Bé, tandis qu’un pas lourd ébranle le plancher de la chambre du dessus, en son circuit monotone. Et se succèdent, en ce kaléidoscope idéal, des paysages qui n’ont en commun que la lenteur du temps, l’ennui des longs dimanches et des enfances à l’abandon. Des Serres chaudes à l’Aiguille creuse, des palmiers de Nouméa à Vladivostok au bout du monde, du Cimetière marin au jardin de tante Léonie,

Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?

Mais n’entendez-vous donc pas ce galop, du côté de Méséglise ? Les trois mousquetaires lancés à la poursuite de Milady…tandis que Jean Cocteau fait signe de la main à Colette, qui respire une rose, sur son balcon du Palais Royal.
Rabelais, Ronsard, Hélène, Marie, Cassandre, Picrochole et La Boétie…Que de servitudes volontaires ! Et tous ces compagnons autour de moi, Noëlle, qui nous trace les itinétaires, Alain Miniot , Roger, Léonce qui les font chanter, et tant et tant de bons compagnons, Jean Lacroix, Max Vilain, Paul Ernst…tiens, n’est-ce pas Thierry-Pierre, là, tout près, qui lit Rousseau par-dessus mon épaule ? Il ne peut rentrer chez lui, les portes de Genève viennent de se fermer.

Et toujours, couronnant nos interventions, les jeux de scène d’Alain Miniot, les interventions des récitants, toujours aussi remarquables, la réussite au rendez-vous, tellement qu’on s’y croirait, en tous ces lieux et ces moments pérégrins.

Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?

Mais…ces odeurs d’encens et d’oublies, de gaufres fraîches au milieu des escarbilles, et ce wagon perdu sur une voie de garage, ces embranchements à l’infini, ne serait- ce pas lui, Michel Joiret, qui nous attend avec le rire de Corine, gare du Midi…et tout ce qui lui reste à dire, le bonheur, le goût du vent, sa chanson dans les peupliers, et le cœur changeant des bonnes gens, prompt au souvenir, prompt à l’oubli

Dis-moi, Blaise, sommes nous bien loin de Montmartre ?

Oui, bien sûr, l’automne prochain, à Berck au bord de la mer.

Joseph Bodson