Michel Loquy – La hargne au ventre – Memory – 149 pages – 16 €

Antoine Loreux, septante-cinq ans, vient de faire dix mois de préventive et ça lui a mis « la hargne au ventre » car il était innocent et n’a dû son inculpation qu’à la coalition des villageois de Chantemerle, qui voyaient en lui un coupable évident. Il sait bien, lui, qu’il n’a pas tué sa femme, qu’on a trouvée la tête la première dans le puits de son jardin. Il n’en a pas été triste, car il ne l’aimait plus depuis longtemps, cette femme qui se plaignait tout le temps et se présentait comme une victime. Il faut dire qu’il ne la ménageait pas, qu’il la considérait comme « un meuble qui bouge », qu’il la violait au besoin et la battait plus souvent qu’à son tour. Elle s’est suicidée, parce qu’elle n’attendait plus rien de la vie, ou alors, comme il n’est pas loin de le penser, pour lui jouer un sale tour car il était évident qu’on lui ferait porter le chapeau. Jusqu’où peut aller la haine conjugale…

Voilà donc Loreux de retour chez lui avec la ferme intention de se venger de tous ceux qui l’ont dénoncé et chargé. Il a soigneusement établi la liste et l’ordre de ses vengeances. Les premières actions semblent signées et tout le monde s’accorde à désigner Loreux comme coupable de ces exactions : il se venge. Mais il n’y a pas de preuve et le justicier se fait un plaisir de poursuivre sa tâche, biffant soigneusement dans son calepin les noms de ses victimes. La rage et l’amertume de ne pouvoir le confondre et l’empêcher d’agir se muent bientôt en peur d’être le suivant sur la liste. Même Debaar, le policier, se sent visé car Loreux lui a glissé à l’oreille : « Je vous aurai ». La vengeance se charge alors de jubilation : il fait peur à tout le monde. Mais tout ne va pas pour le mieux pour Loreux car sa santé lui cause de gros soucis, au point que le voilà bientôt condamné par la médecine…

Le roman traite du côté sordide de l’humanité car il n’y a guère de beaux sentiments à découvrir dans ces pages, rien que de la haine, de la brutalité, de la mesquinerie, de l’espionite entre voisins, de la jalousie, de la vengeance, de la perfidie, de la lâcheté… Le sujet est traité de manière « brut de pomme », les personnages très typés, parfois à la limite de la caricature. L’auteur force volontairement la note. Avec au final, le coup de théâtre qui amènera le revanchard au bout de sa revanche, presque malgré lui. On est plus proche du conte que de la vie réelle.

A lire, pour le plaisir de voir ce sanglier têtu poursuivre obstinément sa route et sa vengeance, où qu’elles le mènent, tout comme il poursuit obstinément sa tabagie, en s’aveuglant volontairement sur la fin qui s’annonce. Les seuls moments d’éclaircie, comme des clairières dans le touffu d’un bois noir, ce sont les pages potagères où l’on respire un peu avec Loreux quand il cultive ses tomates et s’extasie sur ses courgettes en oubliant pour un moment ses projets délétères.

Isabelle Fable