Michel Voiturier

RADIO : AVOIR ÉTÉ FIDÈLE AU POSTE

Sans doute que j’appartiens à une génération qui a construit une bonne part de sa culture à partir de la radio, au moins autant que par la lecture. Elle trônait en bonne place dans la cuisine, là où parents et enfants se tenaient le plus souvent. Plus tard, il y en eut une autre au salon ; puis, avec l’avènement des transistors, il y en eut partout. Durant la seconde guerre mondiale, elle s’était cachée dans un coffre en bois sous des tissus car elle servait à écouter clandestinement les nouvelles interdites de Londres et se paraît d’une antenne composée d’un fil vert enroulé sur un bâti de bois.

Divertissements et informations

Écolier, il me fallait être à l’écoute, le dimanche soir, de Radio Jeunesse sur l’INR (Institut national de Radiodiffusion belge). C’était à 18 h et, où que nous soyons, je taraudais mes parents pour que nous rentrions. Il y avait là, entre autres, un monsieur, pseudonyme Pic de la Mirandole je pense, qui répondait aux questions envoyées par les enfants. Et alors existait cette fascination des mots qui ouvrent sur l’imaginaire puisque la radio ne montre pas des images, elle les suscite à l’intérieur de la tête.

ans les années 1950, avant l’avènement de l’empire télévisuel, mes parents écoutaient volontiers Radio Luxembourg avec des émissions déjà de ‘radio-réalité’ du type « Reine d’un jour » où Jean Nohain couronnait une femme ‘méritante’, donc plus ou moins dans le besoin, en la couvrant de cadeaux somptueux qui ne changeaient sûrement rien à sa situation sociale mais portait les auditeurs vers le rêve.

On y suivait aussi le célèbre feuilleton journalier « La famille Duraton » de Jean-Jacques Vital dans lequel officiait Jean Carmet. C’était l’époque de Zappy Max et des shampooings berlingots Dop. C’était l’époque de Roger Nicolas, humoriste, dont le leitmotiv était « Écoute ! écoute ! ».

Chez nous, on était en effet sensible à l’humour. On se branchait par exemple sur une émission patronnée par Boldoflorine : un tribunal comique avec Yves Deniaud. Chez ma marraine où je déjeunais le jeudi –  jour de congé d’alors dans les écoles -, c’étaient Raymond Souplex et Jeanne Sourza qui jouaient les clochards  « Sur le banc ». Peut-être le discours était-il poujadiste, je ne sais. Ils avaient de l’audience. Et, pour rien au monde, à la table dominicale du midi, nous n’aurions manqué les chansonniers du « Grenier de Montmartre » mis en ondes par Pierre-Arnaud de Chassy-Poulay (que j’entendais « poulet »). On y écoutait des chansons satiriques de Roméo Carlès, Pierre Destailles, Jacques Grello, Maurice Horgues, Raymond Baillet, Edmond Meunier…

Le même metteur en ondes avait en charge un autre feuilleton, initiation à l’absurde : « Signé Furax » de Pierre Dac et Francis Blanche. De là, vient en partie ma manie de ne pas arriver à l’heure : pour être à 13h 30 dans la cour de mon école primaire, il me fallait cavaler ou accepter la remarque du frère instituteur et la punition, sinon je manquais une part des épisodes. Mon attrait pour le poste, la TSF, était tel que j’avais aménagé de manière très bricoleuse un studio de bruitages dans une des pièces de la maison. J’y avais une caisse en bois remplie de gravier pour imiter les pas d’un passant, un morceau de tôle pour simuler l’orage, de petites percussions pour diverses sonorités…

La radio c’était aussi un autre instrument. De renseignements et de connaissances. Sur les antennes belges, Gaston Clément racontait ses recettes de cuisine. Juste avant le petit déjeuner, il était fréquent que, gamin,  je pratique un quart d’heure de gymnastique matinale. Et, bien que peu sportif, j’écoutais les reportages de certains matches de foot et essentiellement du Tour de France magnifiés par les commentaires survoltés de Luc Varenne. Les après-midi de fièvre à rester au lit, j’entendais « Le Passe-temps des dames et des demoiselles »… Adulte, lorsque j’étais coopérant au Congo nouvellement indépendant, coupé de pas mal de sources d’informations, ce fut par les ondes que me parvint la nouvelle de l’assassinat du président Kennedy.

Une introduction à la culture

Plus sérieusement, la radio fut un peu mon université de substitution. Sur France Culture, qui ne s’appelait pas encore comme cela,  j’ai acquis une bonne par de ma culture théâtrale. Chaque dimanche, en effet, l’après-midi était consacré à une retransmission de spectacle ou à une dramatique, comme on disait in illo tempore. J’ai palpité à Corneille, Cocteau, Racine , Molière, Pirandello, Shakespeare, Labiche, Sardou, Félicien Marceau… et même à « Violettes impériales » de Francis Lopez. J’ai vibré aux voix de Gérard Philipe, Jean Vilar, Pierre Brasseur, Germaine Montéro, Maria Casarès, Jean-Louis Barrault, Alain Cuny, Sylvia Montfort, Roland Ménart, Jacques Duby… Un speaker  décrivait les décors, les changements de scène et parfois certaines didascalies.

Dès 1958, ce furent les inoubliables « Analyses spectrales de l’Occident » qui m’ont permis de terminer ma rhéto avec un savoir que mes condisciples ignoraient. Les jours de couche-tard, il m’arrivait de savourer et même d’enregistrer, sur un enregistreur à bandes comme il n’en existe plus, les « Ateliers de création radiophonique ». Là c’était de l’avant-garde, de la recherche sonore sur des sujets complexes.

Je dois aussi à la radio d’avoir été initié au jazz par les émissions de Sim Copans, André Francis sur les stations françaises ou de Frank Ténot et Daniel Filipacchi sur Europe 1. Sans oublier les compositeurs contemporains sur France Musique ou Musique 3. Adjoignons leur la chanson par Jean-Louis Foulquier et d’autres, tel Edmond Lefèvre sur Radio Hainaut.  Ainsi j’ai entendu Brel pour la première fois, une nuit, c’était « Sur la place », et Souchon « J’ai dix ans».

Il ne faut pas oublier aussi combien la radio a pu influencer l’évolution des citoyens. Ceux qui connurent Ménie Grégoire se souviendront de ce qu’elle a fait pour abattre les tabous sexuels, les relégations des femmes par les machistes. Comme ils se souviendront aussi de Françoise Dolto et ses analyses psychologiques, sa pédagogie de l’éducation des enfants. Un homme comme Frédéric Pottecher, chroniqueur judiciaire, amenait à voir les grands procès et la justice autrement. Michel Lancelot sur Europe 1 au temps de mai 68 et la suite donnait de l’actualité une vision jeune et libre avec « Campus ».

Mon approche initiale de la littérature fantastique, notamment de Jean Ray, est due à Jean Le Paillot qui, outre de réaliser Radio Jeunesse, produisait des dramatiques à Bruxelles. Il m’arrivait de me lever de mon lit le soir et d’aller coller mon oreille à la porte de la cuisine où ma mère écoutait ces mises en ondes. J’en ai conservé certaines terreurs : un cri de prisonnier torturé, une histoire terrible qui s’intitulait probablement « Les yeux verts » et narrait la prolifération d’individus porteurs de cette couleur oculaire et dont la caractéristique était qu’ils ne pouvaient s’empêcher de dire la vérité, d’où une pagaille incroyable dans les relations humaines.

Il faudrait ajouter les découvertes littéraires d’Annie Rak, la voix chantante du caustique Armand Bachelier, correspondant à Paris de la RTB dont l’humour est resté légendaire. Et bien d’autres encore qui étaient présents en nous, en des temps où la télé n’avait pas encore complètement colonisé le temps des loisirs.