vilet michèle (c) jacques viletMichèle Vilet, Rives reines, Merlin, Déjeuners sur l’herbe, 2013, 162 p.

 

Les nouvelles de Michèle Vilet parlent d’abord de solitude. Elles sont parfois proches du fantastique et du conte, souvent réalistes. Les êtres qui les peuplent sont en quelque sorte des nomades, des personnes qui ont « toujours besoin de changement », de celles qui tentent d’aller au-delà de leur isolement.

Elle affectionne les descriptions qui permettent non seulement de visualiser les lieux et les actes mais aussi de les relier aux émotions et sensations des protagonistes. Mais ce qui est le plus littérairement attirant, c’est sa façon, dans pas mal de ses histoires, d’utiliser les pronoms liés au narrateur.

Celui-ci a, du coup, un statut particulier chez cette écrivaine. Il affirme son ‘je’ dans  « La femme de sable » en demande de se laisser apprivoiser qui, pourtant, se situe plutôt dans l’imaginaire et le symbolique. Idem pour « Le mouflon ». L’échange épistolaire qui est la matière des « Lettres à Pauline » oblige l’usage quasi exclusif du ‘je’. « Nejma », narre l’histoire d’une amitié entre deux femmes que la géographie sépare et qui cherchent chacune des raisons de vivre, c’est le ‘je’ qui semble affirmer le vécu de la narratrice. Néanmoins, lorsque la Palestinienne décrit son pays déchiré, le ‘nous’ et le ‘on’ associés disent en filigrane la différence entre des êtres sensibles et l’entité d’un peuple habitué au malheur. Les deux femmes de « Paquito », esseulées, dont l’une vient apprendre à l’autre la mort de son enfant, laissent place au ‘je’ de l’une. Mais, avant la relève du ‘nous’ plus fusionnel de leur cohabitation postérieure, l’histoire a transité par le ‘on’ de la difficulté de passer de l’anonymat à la connaissance de l’autre.

C’est l’anonyme ‘on’ qui donne le ton à « Le tombeau des rois », rencontre mystérieuse avec une prétendue aïeule. Il en va de même dans « Momie pour la vie » où il ne cesse de voyager dans le temps, comme s’il commentait une histoire vécue à son lecteur. Ce pronom est là aussi dans « La course interrompue ». C’est encore ‘on’ avec « Hommes et femmes en février » et il s’y trouve en alternance avec un ‘on’ qui équivaut à un ‘nous’ condensé dans une fusion entre deux amis ou deux amies car il est duel, avant de se clore par un ‘je’ en quête d’une solitude ressourçante. De même avec « Mémé Rosita » rémémorée par ses petits-enfants.

Dans « Le cheval de mer », assez proche de Maupassant par l’atmosphère, le faux neutre qu’est ‘on’ joue au début le rôle d’une caméra qui zoome sur l’entrée des personnages. Puis il disparaît derrière un récit distancié, décrivant les actions d’un paternel trahi par ses enfants. Identique distance dans «  Alma et la machine à écrire », incursion dans le domaine de l’écriture. « Celui qui cherchait sa terre », un gamin d’une maman qui a abandonné son père, les laissant seuls avec une tante, effleure fugacement le ‘on’, dissimulant la présence vague de ceux qui savent.

 « L’alter ego » étant la rencontre d’une dame avec son double, la première personne du singulier flirte par moment avec la première du pluriel. Le ‘on’ ne servira dès lors qu’à désigner ceux, inconnus, qui seraient responsables de cette insolite situation. Par contre, notre fameux pronom est le pivot du commencement de « Dora et Nina », autre rencontre avec le double, cette fois-ci fusionnelle. Il définit les groupes dans lesquels Dora tente vainement de s’insérer afin de ne pas passer des vacances esseulée.

Veuf, le M. Patrice de « La ville d’eau » est enrobé dans le ‘on’ des voyages organisés, des équipes médicales qui soignent et même de lui-même devenu un individu ignoré. Juste une fugace présence du ‘moi’ rappelle qu’il a vécu des souvenirs encore vivaces. Quant au Serge de « Nuit noir », en pleine atmosphère de science-fiction, il passe du ‘nous’ de la famille au ‘je’ du survivant, réservant le ‘on’ à une société irresponsable qui n’a pas géré son autodestruction de la planète. Enfin, preuve s’il en fallait, que l’usage des pronoms est bel et bien lié à la forme de la narration : la dernière nouvelle qui a l’aspect d’un conte traditionnel ne comporte pas les subtilités des précédentes de ce qu’on serait tenté d’appeler ‘les pronoms narrateurs’.

Michel Voiturier