Montignies, Peeters et collab., Le Tournai Artistique (1800-1940), Tournai, Wapica, coll.Cultura Memoria, 2016, 216 p.

Des œuvres trop souvent méconnues à Tournai

Longtemps, la ville de Tournai se contenta de conservateurs de musée bénévoles et sa politique d’achat d’œuvres d’art se limita trop souvent à attendre des donations. Son patrimoine muséal est loin d’être connu et exploité. Cet ouvrage appartient à une série qui tente d’inventorier ce qui existe, qui n’est pas toujours dûment répertorié et trop rarement exposé. Il sélectionne un éventail significatif sans épuiser, loin de là, une partie d’une richesse à découvrir.

Il faut reconnaître que, au début, un musée des Beaux-Arts est conçu vaille que vaille, déménageant plusieurs fois de la Halle-aux-Draps à l’Hôtel de Ville faute de place pour exposer et entreposer les collections. Pour que cela change, il faudra attendre le fameux legs Van Cutsem, collectionneur et mécène avisé, et surtout la réalisation par Victor Horta d’un bâtiment ad hoc qui ne sera finalement inauguré qu’en… 1928 !

Aurélie Montignies replace le 19e siècle dans une perspective historique. Elle s’attarde d’abord sur Philippe-Auguste Hennequin héritier du néo-classicisme. Idem pour l’architecte Bruno Renard qui fut entre autres un des concepteurs du Grand Hornu, et sur son disciple Aexandre Decraene.

Le romantisme a pour représentant essentiel Louis Gallait dont les œuvres monumentales comme La peste à Tournai en 1092 ou Les derniers honneurs rendus aux comtes d’Egmont et de Hornes restent des exemples notoires sans oublier quelques portraits de dimensions plus modestes.

Le réalisme se développe peu à peu et, souligne Montignie, l’invention de la photographie va stimuler un certain nombre d’artistes à se dépasser pour atteindre une représentation du réel le plus fidèle. Ce mouvement se développera à la suite de Courbet et Millet.  Il sera présent ici grâce à Louis Pion qui, à l’instar de plusieurs de ses confrères et pas des moindres, utilisa parfois le cliché photographique comme source de ses toiles, ce que bien plus tard referont les hyperréalistes américains.

À celui-là s’ajoutent Charles de Groux, Joseph Stevens, Jules-Bastien Lepage, André Collin, Constantin Meunier, Théodore Verstraete, Rémy Cogghe qui s’attachent pour la plupart aux inégalités sociales alors qu’Henri de Braekeleer préfigure l’évolution vers l’expressionnisme.

C’est du côté de l’impressionnisme que se dirige le travail pictural en plein air d’un Hippolyte Boulenger. Cette école picturale a la chance d’être représentée, grâce à Van Cutsem et à sa donation, par des Manet exceptionnels (Argenteuil – Chez le père Lathuile), par un Seurat (Honfleur), par un Monet (Cap-Martin). Sans oublier les Belges Théo van Rysselberghe, Émile Claus et van Strydonck.

Le symbolisme s’illustre avec Fernand Khnopff, Auguste Levêque, Jean Delville. L’art nouveau est présent, évoqué par Arthur Chantry et Victor T’Sas. Du fauvisme, on retient Rodolphe Strebelle et Auguste Oleffe  et on pourrait affirmer que les peintures d’un Fernand Allard L’Olivier lui sont redevables de leurs coloris éclatants.  Une forme d’expressionnisme se montre chez Ensor ; une autre, quelque peu influencée par le cubisme paraît chez Jean Leroy et Marcel Degand.

L’artiste le plus avant-gardiste du début du 20e siècle est assurément Joseph Lacasse qui finira par s’exprimer dans l’art abstrait. Parallèlement, membre du groupe hainuyer Nervia, Jean Winance poursuit un travail figuratif et aboutira à des toiles véritablement hyperréalistes. L’artiste le mieux relié à la tradition classique restera sans doute le sculpteur Georges Gard, celui qui exalta les corps féminins sans souci de modernisme mais avec une évidente sensualité

L’art funéraire, objet de soins attentifs par Jacky Legge depuis longtemps, a été remis à l’honneur et trouve place dans cet historique pour évoquer, parmi d’autres, les sculpteurs Barthélémy Frison ou Maurice De Korte. La lithographie connut un bel essor au 19e. Notamment à cause de quelques imprimeurs comme Casterman, Dewasme ou Vasseur alors qu’on l’utilisait comme outil de grande diffusion de l’image. Si la dominante est la représentation de lieux locaux, elle se développa aussi comme illustrations de livres, menant les imprimeurs à se transformer en véritables éditeurs.

L’ouvrage survole l’histoire de l’art d’un siècle et demi à Tournai. Il est abondamment illustré par les photos de Pierre Peeters dont on regrettera sans doute que, à cause de la présence de quelques clichés consacrés des œuvres appartenant à des musées extérieurs à la région, elles entretiennent une sorte d’ambiguïté entre ce qui appartient véritablement au patrimoine local et ce qui relève d’une muséographie externe.

Michel Voiturier