Nelly Lecomte – La station s’appelait Terminus –  nouvelles –  Edilivre – 185 p – 20,50 €

 

Le titre nous l’annonce, on court droit dans le mur, le chemin s’arrête obligatoirement, sans échappatoire possible. Terminus, tout le monde descend. Et l’emploi de l’imparfait ajoute encore au caractère fatal de la chose. L’auteure s’applique à dépeindre les aspects noirs de la vie. Même la lumineuse Afrique apparaît sombre sous sa plume. Et en Occident, la vie n’est pas plus joyeuse : solitude, perte d’emploi, mort du petit chat, mal-être général, accidents qui viennent interrompre un cours de vie plus supportable… et la mort qui rôde.

Ce recueil nous promène dans un labyrinthe de récits au parfum triste. Il nous présente d’abord des contes africains, où l’on découvre la misère, la lenteur, la magie, la sauvagerie parfois, la rudesse du climat, dont dépend la survie, les relations entre Noirs et Blancs, où « le Blanc est le pognon », où « le Nord est le paradis sur terre ». Et dans nos pays d’abondance, en Occident, la vie relatée dans les nouvelles reste précaire et douloureuse. Peut-on d’ailleurs parler de nouvelles ? Ou plutôt de récits mâtinés de contes et de symboles ? Le réalisme affiché se dilue dans une atmosphère d’invraisemblance. L’auteure prend des libertés avec la concordance des temps et semble avoir du mal à s’ancrer dans un espace/temps réel, qui nous permettrait d’y adhérer pleinement. Elle élabore sa réalité de manière très particulière, un peu fantasmée. Un texte apparaît deux fois, version courte et version longue. Laquelle a donné naissance à l’autre ? Et pourquoi deux versions ? Pour mieux étudier la question ?

Les récits ont en fait une connotation plus intellectuelle qu’émotionnelle ou simplement réelle. Comment croire, par exemple, qu’une automobiliste, portable à l’oreille, renverse une énorme moto (« grosse cylindrée bleue, qui atteint les 300 km/h »), et que sa « petite Renault  broie» la moto et le motard (dont il ne reste qu’un « amas de chair ramolli ») sans avoir même «remarqué qu’elle avait touché quelqu’un » ? Ajoutons que cela se passe dans un carrefour protégé par des signaux lumineux et que le motard et elle ont donc dû se rencontrer perpendiculairement. Elle aurait « broyé la moto sous ses pneus » sans la voir, sans l’entendre, sans sentir le choc, qui a dû être d’une extrême violence ? On a peine à l’imaginer. Mais quand on lit que les urgentistes « mettent une sonde urinaire » au malheureux motard en train de perdre la vie sur la route, on voit qu’on nage en plein surréalisme. Il y a plus urgent que de vider la vessie d’un mourant! A moins que, dans un raccourci saisissant, il soit déjà à  l’hôpital à la phrase suivante ? De même, dans une autre nouvelle, est-il concevable qu’un bébé soit éjecté d’une voiture (il n’était pas attaché, la portière « s’est envolée ») sans que les cinq autres occupants de la voiture s’en rendent compte ? Même s’ils sont distraits au point de ne pas voir disparaître la porte et le bébé, ils devraient entendre le bruit de la route qui augmente brusquement. Difficile donc d’accrocher aux textes, à moins d’opter délibérément pour une autre dimension…surréaliste et symbolique. De se situer au niveau du fantasme subconscient et d’y voir des espèces de rêves/cauchemars à décrypter. Cela expliquerait le décalage avec la réalité, le français fantaisiste, l’aspect parfois décousu ou confus des récits, qui partent dans tous les sens et collent à une autre réalité, plutôt ténébreuse et désolante.

Mais le plus étonnant, c’est que le recueil se termine par une bibliographie, ce qui semble corroborer l’aspect intellectualisant de cet étrange ouvrage. « L’écriture est dissolution » nous dit l’auteure. Peut-être faut-il comprendre dis-solution ? Solution de remplacement, d’échappatoire à une vie mal aimée ? Ou trop aimée et décevante ? Avec tous ces Terminus qui nous bloquent en plein élan…il y a de quoi désespérer. L’écriture au moins, se laisse écrire en toute fantaisie, en toute anarchie et l’écrivain peut tout se permettre.

 

Isabelle Fable