Nemesio Sanchez, Contre la montre/Contra relog, Jacques Flament éditions, Paroles de poètes,99 pp,12 €.

J’avais presque envie d’intituler ce compte-rendu Le rouge et le noir, tant il y a toujours, chez Nemesio, le rouge ardent de la passion, du sexe, de la vie brûlante et palpitante, avec, pour cette fois, à ses côtés, le noir du deuil, du désespoir. Noir bien sûr de l’âge qui s’avance, et de la mort qui l’accompagne. On le sait de reste, Nemesio Sanchez a l’habitude d’appeler un chat un chat, et cette course inexorable contre le temps prend chez lui l’allure et la scénographie d’un drame. Non, rien de grandiloquent, mais les mots comme ils sont, en costume de semaine, prêts, comme celui qui les façonne, à affronter ce qu’il y a en nous de plus terrible et de plus ardent. La terreur et la pitié, disaient déjà les Grecs. Mais une pitié qui est bien loin de l’élégie romantique. Ces mots, ils sont là, encore une fois, dans leur costume de semaine, rudes et crus. Ecoutons-le plutôt, à la page 40:

Quiero hacer de mi muerte/una obra de arte/- lo que, verdaderamente, nunca hice en el camino andado -,/no para que la admiréis en una galeria,/sino para sentirme vivo/al menos una vez en mi vida. (Je veux faire de ma mort/une œuvre d’art/ – ce que, vraiment, je n’ai jamais fait sur le chemin parcouru -, / non pas pour que vous l’admiriez dans une galerie/ mais pour me sentir épanoui,/ pour me sentir vivant/ au moins une fois dans ma vie.)

De mes mains je prendrai la quenouille du temps, nous dit-il encore, p.69, en un superbe poème (tomaré la rueca del tiempo entre mis manos cansadas). Il y a, dans ce texte, des gestes, des mots, qui sont ceux de quelqu’un proche de la mort comme il a été proche de la vie, en une sorte de défi plein de noblesse, mais qui s’exprime par les gestes, les mots dans leur nudité: l’arrivée de l’aube, la lampe à huile, la porte que l’on ferme, le feu que l’on allume. Seul regret, p.85, celui de ne pas avoir vécu assez intensément. Et, regardant la mort dans les yeux, lui parlant ainsi familièrement comme on parle à un hôte habituel, c’est la vie encore qu’il célèbre.

Joseph Bodson