Pascale Toussaint,  J’habite la maison de Louis Scutenaire,  Weyrich, 2013.

L’auteur, professeur de français à Bruxelles, a eu le grand bonheur d’acheter la demeure où vécut le couple Scutenaire-Hamoir, rue de la Luzerne, à Schaerbeek, juste en face de la Maison de Santé Titeca.  Que l’on se rassure ! ce n’est pas une histoire de fous qu’elle va nous raconter mais une sorte de roman à double fond : la vie quotidienne d’un de nos auteurs les plus caustiques et celle, plus sérieuse et plus studieuse surtout, d’une petite famille, toute fière d’habiter dans les murs où le poète surréaliste imagina tant d’inscriptions saugrenues. Jean (Louis pour la « gloire » de porter un prénom de petit pauvre de campagne), Jean Scutenaire est bien connu, non seulement pour avoir édité -chez Gallimard s’il-vous-plaît ! – ses fameux paradoxes et calembours que reprend Pascale Toussaint comme titres de ses chapitres, mais aussi et surtout pour avoir fréquenté la bande à Magritte, celle de Breton également mais moins souvent, et participé à la formidable révolution surréaliste que réussit, à sa manière, à la belge, sans tambour ni trompettes, cette drôle de compagnie d’artistes, de penseurs, de poètes et de joyeux mécènes.

C’est très plaisamment écrit à deux mains : l’une, en italique, nous fait revivre l’intimité du couple et comprendre d’où sont nées ces surprenantes Inscriptions très politiquement incorrectes ; l’autre nous fait partager les découvertes, les engouements, les fantaisies de madame le professeur de Lettres et de son mari qui réinventent à leur façon l’humour de ce pantouflard de génie que fut le Scut, tout en le faisant apparaître quelques fois, à la manière d’un personnage de Magritte, sur le trottoir, devant la boîte aux lettres, un billet à la main, ou sur un nuage en forme de tourterelle …

Regarder la réalité en farce ? Indispensable, quand on fréquente un tel bonhomme. Mais la farce ici est émouvante et l’imaginaire est si bien réalisé qu’on s’y croirait,  à écouter et regarder vivre dangereusement au coin du feu ce grand bavard silencieux que fut le con (mais non ! le compagnon…) d’Irène. Pas celle qui fit fantasmer ce polisson d’Apollinaire… Mais bien cette Irène (Irine, Lorrie…) grâce à qui notre bon méchant Scut a pu vivre si paresseusement de sa plume infatigable…

                                                                  Michel Ducobu