Paul Mathieu, Une pomme d’ombre, éd. Traversées.

Nous avons connu – privilège de l’âge – un ministre de l’instruction publique (comme on l’appelait en ce temps-là) qui conseillait aux jeunes gens s’interrogeant sur eux-mêmes de ne point se tourner vers les plus savants, mais les plus sensibles : les poètes. Il avait fréquenté la rue d’Ulm et connu Sartre : c’était Victor Larock.

Paul Mathieu était un de ces poètes vers lesquels les jeunes gens feront sagement de se diriger, car cet homme à la carrure robuste, qui volontiers lève les épaules comme par fatigue ou impuissance devant les apories de la vie, n’n est pas moins un vrai sage. Il possède une aigüe pénétration d’esprit qui lui fait dire un peu brutalement : Nous sommes nés percés,, c’est-à-dire condamnés à notre prison terraquée si haut que nous tentions de nous élever dans la stratosphère, nous ne pouvons que retomber au ras des pâquerettes et au niveau de la mer. Mais cette lucidité de l’empêche pas de s’aveugler, de parti pris, et tenter de vivre comme si la vie n’était pas une farce. C’est en cela que le poète détenteur de vérités délusoires est un sage : il sait que toute certitude en bien ou en mal au bout du compte est relative.

Nous vivons, écrit-il, dans ce qui n’est pas une vie, et nous hésitons même à dire que c’est la vie.

Paul Mathieu est un fabuliste, et ses poèmes sont de petits apologues : l’apologue de l’homme et de son ombre. Le nom de l’homme est son ombre. Son œuvre est l’ombre de son ombre. Enfin, le concept de l’homme est l’ombre de ce qu’il est concrètement. Et il nous faut renoncer à faire coïncider l’objet et son ombre : l’être et l’étant. : c’est proprement de la phénoménologie. Mais pas de charabia ; le style du poète est limpide, coule de source. Il ne se contente pas d’impedimenta verbaux. Il écrit :

A chaque jour suffit son poème – son petit paquet de mots débités à la va-comme-je-te-pousse dans le long étirement des heures qui hésitent à dire leur nom. A chaque jour suffit son poème dans la ville ravaudée de pluie et de pièces rapportées d’on ne sait où. A chaque jour suffit son poème jeté sur la lande pour éclairer nos pas – nos pauvres pas d’hommes qui nous mènent comme iles peuvent d’un bout à l’autre de la nuit.

Cette plaquette élégante dont la couverture est illustrée de la reproduction d’un tableau de Georges Braque, est éditée par Rafaël de Surtis, 7, rue Saint-Michel, F-81170 Codes/Ciel.- France.

Marcel Detiège.