Philippe De Riemaecker – Tant de silences– Éditions Encre rouge – 350 pages – 18 €

 Roman en trois volets, trois récits distincts qui se rejoignent en fin de volume, illustrant les souffrances et tensions entre les membres d’une famille, entre autochtones et étrangers, entre les ressortissants d’un même pays quand la tyrannie s’en mêle. Certaines situations nous sont familières, comme la perte d’un proche, la détresse des personnes en fin de vie ou les affinités, inimitiés, incompréhensions ou hostilités au sein d’une famille. D’autres ne nous sont connues que par les actualités, la fiction ou les documentaires, comme l’exil devant l’intransigeance d’un Khomeiny ou les phénomènes étonnants qui se produisent à la Ferme de la Ramée en Brabant wallon…

Sautant sans cesse d’un récit à l’autre, le narrateur nous confie ses ressentis, ses espoirs et ses révoltes, et pourquoi pas des perspectives de solutions… toujours possibles avec un esprit positif, tolérant et ouvert à l’autre.

 Trois récits, trois mondes. Le premier, écrit à la première personne, nous conte par le menu un épisode bref mais crucial de la vie d’une famille, la mort d’un père, les souffrances et les déchirements entre enfants, la déchéance de la vieille mère en maison de repos. Aucun nom dans ce récit très prenant, Le Père, la Mère, la Sœur Aînée, la J, le Frère et la Luxembourgeoise. Volonté d’anonymat permettant à chacun d’y trouver écho, peut-être. Besoin d’épanchement certainement et d’élargir la réflexion sur les relations réussies ou manquées et sur le fait de « placer » les vieux. Tout cela est traité avec beaucoup de sensibilité. Le deuxième pan du livre nous fait vivre le départ en exil d’un jeune couple d’Iraniens qui choisit le déracinement plutôt que l’intolérance de la révolution islamique. Quant au troisième récit, il nous ramène en Belgique auprès d’une religieuse paralysée qui semble avoir des « pouvoirs » inhabituels, d’un médecin sensible au surnaturel et d’un concierge sensible aux problèmes des migrants, qu’il assimile un peu vite aux « exilés » de l’exode de 1940 fuyant l’envahisseur allemand.

 Tant de silences pour parler de la vie, tant de non-dits, par peur ou par pudeur, de mesquinerie, d’indifférence, d’intolérance, tant de goût du pouvoir et d’écraser l’autre, que ce soit au sein des familles ou d’une élite (?) religieuse qui prétend parler au nom de Celui qui n’a pas de nom… Ou encore silences de tendresse, de complicité, de communication non verbale ou même paranormale.

 Tant de silences ?

Sans doute. Mais l’auteur ne se gêne pas pour nous crier avec force et conviction tout ce qui le trouble, le chagrine, le révolte et l’anime. La souffrance mais aussi l’amour et la tolérance. Un livre étrange, une trinité de récits qu’on aurait peut-être intérêt à lire séparément car ils y gagneraient. Les ambiances sont très différentes, bien qu’elles se répondent. La sincérité par contre est évidente et l’ensemble invite à la réflexion et à l’ouverture au monde, à la vie, à la nature, à l’humain et à ce qui le dépasse. À l’espoir, en un mot, qui fait vivre.

Isabelle Fable