DEUX PREMIERS LIVRES D’AUTEURS BELGES : L’UN SEDUIT, L’AUTRE DECOIT.

 

Autour d’un Caravage disparu – Le talent romanesque de Gérard Mans

Croisé à Rome, il y a quelques années, à l’Academia Belgica, Gérard Mans était là au travail. Pensait-il déjà à la matière riche et féconde de son roman, publié aujourd’hui par Maelström, « Poche de noir »?

En tout cas, ce livre ne souffre pas d’érudition gratuite ni de bricolage portant à voir les coutures d’une oeuvre; le réel mérite de « Poche de noir » est dans la fluidité du récit (des récits devrais-je dire) et la tenue romanesque de l’ensemble.

L’intrigue, assez complexe, met aux prises Raymond Vidal , un individu marginal, expert scientifique d’un musée français, tombé en déchéance, qui laisse trace de voyages, de vagabondages comme l’escargot laisse bave en se poussant, un historien d’art milanais au nom d’Occhipinti (yeux peints, ça ne s’invente pas!) et un enquêteur, Charles Bernard, lancé aux trousses du vagabond spécialiste de pieuvres, et enfin, une jeune Romaine, prostituée.

Tous ces personnages sont évidemment liés, se croisent, donnent sa topographie européenne au roman qui nous balade de Charente à Rome en passant par la Croatie, Berlin…

Dans une vaste fresque polyphonique (autant de narrateurs que de personnages principaux), Mans réussit à évoquer l’univers caravagesque, la seconde guerre mondiale qui serait cause de la disparition d’un tableau célèbre (une première version de Saint Mathieu et l’ange), le monde « encré » des pieuvres (cette fameuse poche du noir), tout en alertant les émotions policières de ses lecteurs, intrigués, forcément jusqu’au bout, jusqu’à l’éclairage ultime – qui tient un peu de la révélation finale des « Diaboliques » de Clouzot.

On n’en croit pas ses yeux de tant de perversité narrative : chapeau!

Riche, le roman l’est à plus d’un titre, par son style, par les plongées intenses dans des univers un rien glauques : le côté interlope des milieux visés est très bien rendu.

Un premier roman, déjà fêté par un beau prix (Fédération W/B: prix de la première oeuvre 2015).

Assurément, Mans est assuré d’un bel avenir dans les lettres belges.

(G.Mans, Poche de noir, Maelström, 2014, 290p, 16€)

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La collection, originale, a ses hauts et ses bas, sans doute comme toute collection de poésie/prose (puisqu’ici on est tantôt dans l’un ou l’autre genre). « if » a ses splendeurs (Alvarez Barbosa, Ben Arès,  Baddoura, Ioanid, Dombret, Logist) et ses faiblesses (un Caligaris abscons, un Remacle surfait, un Gris non maîtrisé).

Voilà l’un des derniers. ça s’appelle « Dix disques de traverse ».

Bien sûr, ça plaira aux amateurs de mode passagère, pleine de clins d’oeil faciles (ô le disque que j’adore, ô la crudité franche), c’est tout simplement racoleur. Voilà un Grenier qui est loin de valoir les Roger et Jean, Voilà un Laurent Grenier qui se pose comme question essentielle, entre les disques majeurs qui ont constellé son parcours (il est aujourd’hui bon trentenaire), quelle main, gauche ou droite, je n’invente rien, assume ses branlettes. Question fondamentale, certes.

On croit rêver. Pour le reste, à la condescendance affichée à l’égard de certains groupes cités (un REM qui, aux dires de l’auteur n’aurait plus rien fait, que de médiocre, après « up »!), s’ajoutent nombre de faits qui, à vrai dire, n’intéressent personne. On s’en fiche un peu de savoir si Sylvie ou Anaïs ou une autre ont assidûment permis à l’auteur de s’affirmer…

Le style, entre expressions critiques maniérées (« idoine »…) et vulgarités couchées sur papier, est à l’avenant du thème traité.

Entre nous, tout de même, « up » n’est pas le meilleur du groupe…l’auteur a-t-il ouï « Out of time » de 1992?

Et puis, on s’en fiche.

(L.Grenier, Dix disques de traverse, Qui n’ont pas changé ma vie, if, 2016, 54p., 10€)

 

Philippe Leuckx