Philippe Leuckx, Lumière nomade, poèmes, éd. M.E.O., préface de Monique Thomassettie, 56 pp, 12  €.

 

lumière nomadeSignalons d’emblée que Philippe Leuckx a reçu le prix Robert Goffin pour ce recueil, et que ce prix est largement mérité: c’est l’un de ses meilleurs.

Dès le titre, alliance inattendue de deux termes non pas contradictoires, un peu appariés même, puisqu’en termes de religion on parle souvent de « marcher vers la lumière ». Mais cela suppose une lumière fixe, et un marcheur qui bouge. Ici, c’est la lumière qui est nomade. De même, dès le premier poème, trouvons-nous l’alliance du son et de la lumière. Cette lumière passe par ses mots, à travers lui.

A la page 8: nous sommes tous vivants et fraternels dans cette diversité: tous en train de cheminer. A la page 9, Le souvenir s’ouvre à moi comme d’un coffret préservé : ceci est éminemment proustien. La dialectique de l’oubli et du souvenir, les intermittences de la mémoire qui réveillent les impressions sensorielles.

Mais il s’agit là d’une mémoire qui se nourrit de choses très concrètes et quotidiennes, des visages, des odeurs, des rues, des prénoms. On le sent proche d’un Christian Bobin,d’un René-Guy Cadou.

Ainsi, à la page 13: Rues de Rome,si proches, si lointaines, toutes en mon cœur. Comme chez Proust encore, le nom du lieu, et les rues de Rome constituent ici en quelque sorte une allégorie, ou mieux une hypostase de la mémoire. A la page 15 encore, A peine un chemin pour épauler la mémoire. Nomade, proche et lointaine à la fois, au risque de se perdre. Le titre trouvera encore à la page 22 un beau développement. La lumière nomade, c’est en fait celle-là, entre chien et loup, où l’obscurité et la lumière se répondent et se confondent, jusqu’à brouiller les cartes. Il en va ainsi aussi des intermittences de la mémoire et de l’oubli.

A la page 23, c’est un enfant qui devient le regard principal – et tout dans ce texte-ci épouse la douceur de l’enfance.

Une écriture très fine, très soignée, très soigneuse, et passant comme au peigne fin les sensations, les mots qui cherchent à les traduire. Un travail qui est fait en tramail aux mailles très serrées.

A la page 35 sont évoqués les rapports entre le poète et le poème, dans le même clair-obcur que pour la mémoire. On se voit soi-même dans une lumière intermittente, nomade. Et à la page 43, l’antinomie nuit/jour, lumière/obscurité, présence/oubli est nouée, en termes plus assurés, aux lignes plus franches.

Il terminera à la page 53 par la vanité du je, tout étant vanité, en fin de compte, comme dit l’Ecclésiaste, mais n’est-ce pas la quête elle-même d’une lumière, quelque nomade qu’elle soit, qui est en nous ce qu’il y a de plus ferme et de plus assuré?

Et je me suis moi-même perdu un peu au hasard des poèmes, comme on s’égare dans les rues d’une ville familière…invite sans doute à revenir, re-parcourir, et se reperde.

 

Joseph Bodson