Pierre Beauve, Dieu ne s’occupe pas des limaces, Weyrich, 2014.

 

                L’auteur raconte ses années d’internat au Petit Séminaire de Bastogne, fin des années 40, début des années cinquante. Le lieu tout indiqué pour entrer dans les ordres, au terme des humanités… Le cadre -ou le carcan- idéal où l’on vous construit une « vocation » en béton armé de certitudes inébranlables. Avec un luxe de détails, y compris dans les domaines les plus ordinaires, voire triviaux, Pierre Beauve nous rappelle tout ce qu’un enfant de la campagne, isolé de sa famille, coincé dans un système éducatif hyper-rigide, peut endurer avant de se forger une personnalité libre et combative qui va lui épargner une prêtrise pour laquelle il n’était pas fait du tout. Le livre, écrit avec beaucoup d’humour et pas mal de rosserie, tient à la fois du récit de vie et du règlement de comptes mais se lit avec beaucoup d’intérêt car il dévoile tout un monde que peu de gens connaissent. Les portraits, descriptions, anecdotes abondent et nous ramènent à une époque, juste après la Libération, dont nous nous sommes considérablement éloignés, à la fois par l’esprit et le mode de vie. Vit-on mieux aujourd’hui dans les écoles et les internats, y apprend-on mieux, s’y sent plus à l’aise grâce aux multiples réformes pédagogiques, à la mixité et à la multi-culturalité ? Tout est discutable, bien entendu. Un fait est certain : l’évolution depuis cette époque héroïque a été fulgurante mais, à lire entre les lignes ce livre lucide, quoique parfois trop emporté, on constate que, même si l’enfance a été sacrifiée sur l’autel des principes intolérants et de la discipline excessive, pour ceux qui en ont été les victimes obligées, il reste un fonds irremplaçable de sérieux, de volonté et de solidarité dont notre jeune génération devrait vivement s’inspirer.

L’ouvrage permet en outre de bien comprendre l’opposition et la rivalité, qui sont loin d’être tout à fait éteintes, entre les réseaux scolaires et surtout l’écart entre la mentalité villageoise, soumise jadis à l’autorité du clergé, et celle des villes, plus libre et ouverte à la modernité et au brassage des races, des religions et des cultures.

Si l’auteur a souffert et s’est senti parfois devenir une « limace » kafkaïenne, signalons néanmoins qu’il ne fut pas peu fier, à la fin de son chemin de croix, de figurer au palmarès de cette vénérable institution et de rappeler en passant qu’un des directeurs qui se sont succédé à sa tête n’est autre que notre excellent et distingué ami, Armel Job…

Un romancier, un mémorialiste, et ajoute-t-il, des milliers de jeunes gens dont beaucoup ont tutoyé l’élite de notre pays… Le sacrifice n’était donc pas inutile ! Ceci pourrait susciter une manière de proverbe : une limace glisse et se hisse lentement mais sûrement ! Rappelez-vous aussi la fable de ce bon Monsieur de la Fontaine, Le Lièvre et la Tortue

A apprendre par cœur pour demain et pour l’éternité !

Précisons que ce livre fait suite à « Il pleut dans ma mémoire » qui évoquait une enfance dans un petit coin perdu d’Ardenne. Publié chez le même éditeur.

                                                                  Michel Ducobu