Pierre Guelff – La revanche du manant – éd. Jourdan – 267 p.- 18,90 €

 On connaissait Pierre Guelff journaliste engagé et écrivain à l’affût de mystère. On connaissait son goût pour la recherche et la récolte d’informations précises, notamment d’informations historiques et géographiques. Il n’a pas failli à sa réputation dans cette nouvelle œuvre. Le cadre dans lequel il situe la vie de son héros est très documenté et très évocateur de la vie de cette fin du premier millénaire.

Pierre Guellf s’est servi de ce cadre romanesque pour faire apparaître la vie étonnante d’un manant qui s’est élevé au-dessus de sa condition, évoquer la façon dont le mystère et le sacré (ses thèmes favoris) pouvaient influencer la société de l’époque et la façon dont les autorités (religieuses et judiciaires) tenaient le haut du pavé face au peuple.

Il met en scène Pierre Ghislain, l’aîné d’une fratrie de six, qui vit misérablement dans un village à proximité de Stavelot, centre renommé pour le monastère bénédictin fondé en 648 par Saint Remacle. C’est grâce à ce monastère que Pierre Ghislain, très maltraité par son père, va pouvoir modifier le triste cours de sa vie. Il y est employé à la préparation et au nettoyage du matériel des copistes et enlumineurs, dans un local bien plus confortable que la masure familiale, et il rêve de devenir copiste et enlumineur à son tour. Bien des éléments romanesques traditionnels se retrouvent dans La revanche du manant. Ainsi Pierre Ghislain porte un prénom double, indice d’une haute ascendance, il porte comme tous les membres de sa famille une marque de naissance sur le corps. Il semble, d’après Théodore, son  père alcoolique et maltraitant, qu’ils soient les descendants d’une branche rejetée d’une famille noble. Pierre Ghislain quitte son village pour entreprendre le pèlerinage de Compostelle. C’est l’occasion pour Pierre Guelff de donner au lecteur l’impression qu’il fait le voyage avec lui, besace, bourdon, coquille St-Jacques en bois, chapeau à larges bords… et tous les aléas et les étapes, car il y a loin de Stavelot à St-Jacques de Compostelle. Une rencontre marquera tout spécialement notre jacquiste sur le Camino, quand, à Auxerre, il voit une dame de haute lignée lui confier un objet, un étui, à remettre au supérieur du monastère. Notre pèlerin s’acquittera de cette mission au retour de Galice et deviendra ensuite un enlumineur apprécié et renommé. Mais nous n’allons pas dévoiler ici la totalité du roman… Car bien sûr, il y a des retours de flamme, des jalousies et des revers. L’humain n’est pas toujours très reluisant et contre la calomnie, on est bien impuissant.

L’intérêt du roman réside dans l’intrigue, bien entendu, mais surtout dans le contexte, le cadre historique, géographique et social où elle s’intègre. Il semble que ce soit là le but premier de Pierre Guelff, faire passer à travers l’Histoire et à travers une histoire particulière des considérations générales sur la société de l’an mille – et sur la nôtre par la même occasion, qui n’en diffère pas tant que ça – à propos des possibilités et des limites de l’individu face à la société.

Isabelle Fable