Pol Bossart, Les au-delàs du Miroir, légendes d’ici et d’ailleurs, éditions La caisse au sucre, 5651 Somzée, ill.de Christina Ruggin, photographies de Nelly Bossart-Paquet.

Notre ami Pol Bossart est surtout connu en tant qu’auteur wallon: il a longtemps dirigé, à Somzée, une troupe de théâtre, doublé d’une troupe de jeunes, troupes qu’il a longtemps tenues de main de maître. Né à Pont-de-Loup, et donc lupipontain – un nom prédestiné pour un auteur de nouvelles fantastiques – il a écrit de nombreuses pièces pour ses  acteurs, des pièces d’ailleurs remarquables: j’ai pu y assister, et j’en suis sorti charmé et admiratif. Devenu instituteur, dans la région de Charleroi puis de Walcourt, il est un de nos rares auteurs écrivant en français aussi bien qu’en wallon. Ses souvenirs – passionnants –  paraissent en feuilleton dans  la revue le Bourdon, de Jean-Luc Fauconnier, à Châtelet.

Ce « grand écart » géographique – de la ville à la campagne – semble lui avoir donné le goût de l’exotisme: ses nouvelles fantastiques se déroulent tantôt dans nos terres wallonnes – et celles-là tournent assez souvent à la blague, ou à la mauvaise blague même. C’est qu’en Wallonie le diable lui-même s’est souvent fait prendre, coincé dans un poirier, figé dans l’une ou l’autre posture – ne vaut-il pas mieux en rire que de s’en effrayer? – et tantôt dans des pays étrangers, qui ont tôt fait de devenir des pays étranges. Et le dépaysement se traduit par d’abondantes locutions dans les langues de l’endroit, que ce soit le portugais, l’irlandais, le provençal…Pol doit être, je le suppose volontiers, un amateur de grands voyages en terres étrangères, et cette curiosité même est un élément supplémentaire dans la panoplie de l’écrivain.

Des histoires parfois drôles, nous l’avons dit, mais le plus souvent étranges, effrayantes même. Nous baignons ici en plein dans cette atmosphère fantasque et fantastique, celle que nos amis picards appellent « le noir quart d’heure ». De quoi effrayer les enfants, mais les adultes aussi, car bien souvent le drame qui reste en suspens avant de s’abattre sur les protagonistes n’est que la conséquence de leurs méfaits. Et la chute de la nouvelle, souvent inattendue, est amenée de main de maître. La dernière d’entre elles, La jeune fille au suaire, en est un exemple très convaincant., se terminant par Et les clochers se mettent à sonner le glas. Mais pour vous mettre en goût, et vous faire apprécier la truculence du style, c’est un passage du Grinche de Noël que je vous citerai, p. 96:

…car ce soir, dès vingt-deux heures, ma grosse bouffe réunira jeunes et vieux. La mine réjouie, ils engloutiront des monceaux de nourriture, se goinfrant de dindes farcies aux marrons ou aux raisins ou dégoulinantes de miel, de langoustines à l’estragon ou au beurre citronné, de suprêmes de pintade au au champagne et petits champignons, de chapons grassouillets, d’huîtres creuses et plates bien charnues, de cardons en gratin, de boudin noir au châtaignes, aux oignons ou au chou rouge, de boudin blanc à la pomme en habit de lard ou aux cerises confites, de bûches de Noël au chocolat blanc enrobé de crème fraîche ou fourrées au pralin, de duos de glace avocat et tomate, de morceaux de tarte au fromage ou à l’ djote,…Beurk! Nauséeux! De quoi me faire gerber. Eyèt crè nom d’ène pipe an bos, quand dji pinse qui l’ chûte s’ra co bén pire, dji vôreu qui l’ diâle lès apice tèrtous èyèt lès pinde a s’ broke! (Et crénom d’une pipe en bois, quand je pense à la suite qui sera encore bien pire, je voudrais que le diable les saisisse tous et les pende à sa patère).

Moralité: Chassez le wallon, et il revient au galop. Voilà! J’espère vous avoir mis en goût…

Joseph Bodson