RAOUL VANEIGEM (Jules-François Dupuis), HISTOIRE DESINVOLTE DU SURREALISME, Libertalia, 2013, 151 pages, 13 euros.

« Je continue à penser qu’à la différence de l’hypocrite objectivité, exposer carte sur table de très contestables opinions autorise le lecteur à intervenir dans le jeu, en connaissance de cause ». Et voilà le ton lancé par l’auteur  dès son avant propos (La distance du regard), ce dont on ne peut que se féliciter !

Passionnante l’histoire du « mouvement » (qu’on nous pardonne ce terme réducteur, s’agissant plutôt d’une nébuleuse), telle que confrontée à l’histoire, mais à une histoire conçue comme une vaste toile de fond  en mouvement où défilent les idéologies, les « églises » ou « chapelles », l’économie, l’évolution des mentalités, les arts, etc… Changer la vie et Transformer le monde : tels sont les titres de chapitres II et III au cours desquels le lecteur non averti, non déniaisé a-t-on envie d’écrire – mais qui ne le sera plus après cette décapante lecture -, imaginant un surréalisme monolithique en sera pour ses frais. Et l’on verra l’aventure des disciplines artistiques passer, à son déclin, par trois phases essentielles : une phase de liquidation (le Carré blanc de Malévitch, la pissotière baptisée Fontaine de Duchamp…), une phase d’autoparodie (Satie, Picabia, Duchamp), une phase de dépassement (la poésie vécue des moments révolutionnaires…..). Phases qui se succèdent sans rien à voir avec le schéma hégélien, mais se situant plutôt dans la dynamique nietzschéenne du « Jenseits ».

Pas d’histoire linéaire donc. C’est qu’on assiste avec intérêt aux convulsions du surréalisme : tentative qualifiée de réactionnaire d’avoir voulu rendre à l’art une vie qu’il n’avait plus , désespoir en l’histoire dans l’après-guerre, abandon de la globalité du projet révolutionnaire au bolchevisme, choix de la mystique de la vie et coup de barre vers la métaphysique que marquent dès 1942 Les Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non. Et Breton, dans les « Grands Transparents » de s’interroger : « Un mythe nouveau ? ». Ainsi les surréalistes prennent-ils  le parti du mythe.

Et maintenant : ce chapitre clôture magistralement le livre. L’auteur y souligne notamment que le surréalisme contenait dès le départ ses diverses récupérations « comme le bolchevisme contenait la « fatalité » de l’Etat stalinien ». Et c’est, à ce jour, en dehors du surréalisme  qu’on a commencé à reprendre « le problème perdu et retrouvé, alternativement dans les remous du surréalisme » : celui de l’homme total et de sa réalisation dans le règne de la liberté.

Voici, avec cette « histoire désinvolte », un livre de référence, un de ceux auxquels on revient.

Michel WESTRADE

9 juin 2014