Raymond-Jean Lenoble, Mémoires de l’Oubli, poèmes, Editions M.E.O., 2015

On ne se plaint pas, en général, de connaître Raymond-Jean Lenoble : médecin de son état, il cultive un humour facétieux qui doit avoir sa part, à côté d’un diagnostic réputé très sûr, dans le traitement et la guérison de ses patients. On ne se plaint pas davantage de lire sa poésie, d’écouter ses chansons ou de l’entendre réciter les poèmes de ses auteurs préférés : sa mémoire est phénoménale.L’auteur publie ici une cinquantaine de pages alertes, variées, hautes en couleurs.selon son habitude, et cette habitude remonte à loin : il avait dans les seize ans et avait sonné timidement à la porte de quelques aînés, Armand Bernier en tête. Leurs encouragements n’allaient pas tarder.

Que dire, après ce préambule, des poèmes, si ce n’est d’inciter à les lire ? A commencer par leurs titres qui sont autant de surprises et nous mènent du regard philosophe de l’homme d’expérience aux remarques brèves et amusées d’un contemporain à qui « on ne la fait pas » !

Et, de fait, je commente si l’on veut bien ces strophes songeuses, presque fatalistes, qui font le lit de souffrances et d’angoisses pas vraiment avouées :

  Je suis inquiet

                                                                       Mon bonheur n’est pas rentré ce soir

Des angoisses confiées à des amis sans qu’il soit besoin d’une réponse :

Ne me dis rien, ne parle pas

                                                                       Je te crois sur silence

L’auteur ne pratique nullement l’auto-satisfaction : sa « résilience » à lui – selon le concept d’un confrère – se fonde sur une envie de tout reprendre à zéro, sachant pourtant que cela n’existe pas, mais que cela permet au moins une sorte de salut dans l’imaginaire :

Pas facile d’encore y croire

                                                                       Quand on revient d’avoir été

                                                                       De prendre ce nouveau départ

Songe-t-il à ce nom d’un groupe de musiciens amis « Otros caminos » quand il écrit

L’autre chemin, c’est l’autre vie

                                                                       La vie que l’on s’était promise

                                                                       Bien plus sauvage et plus jolie

Un autre auteur de chansons disait aussi   Tu la voyais pas comme ça, ta vie …

Ah oui, j’allais oublier de vous prévenir : les textes des recueils de notre auteur-compositeur sont, comme les paroles de chansons citées à l’instant,  parfaitement lisibles et  compréhensibles ! C’est de nos jours un défaut majeur en poésie, semble-t-il, mais ils bornent leur ambition à s’adresser à un public encore soucieux d’y retrouver ses jeunes, si je puis dire, et accessoirement de garder son enthousiasme pour l’écrit de qualité, sans qu’il devienne inabordable. Et de qualité, il s’en trouve aisément aux côtés de chroniques réservées à des considérations finement spirituelles (sur le signe « égale » ou sur la » Météo « par exemple) et on confine alors à la grande littérature :

S’il faut choisir entre la brise et l’ouragan

                                                                       Mieux vaut mourir d’amour au faîte d’une vague

                                                                       Mourir d’un coup de ciel en plein cœur de la mer

                                                                       Dans un châlit d’écume et de Fous de Bassan.

Mémoire, oubli, avez-vous dit ? On les décline à chaque page, et si de chacun on ne garde que le meilleur,on en héritera ce goût de la vie si essentiel pour

                                                                       (…) qu’il dépose avec sagesse

                                                                       Sur le volet de vos paupières

                                                                       le long baiser des ses tendresses.

                                                                                                          Pierre Guérande