rue des juifsRivka Cohen et Yossi Przedborski, Balades – Rues des Juifs, cartes postales de Belgique. Academia/L’Harmattan, 2013,256 pp.

 

Un livre qui est bien plus que son titre ne l’annonce, plus qu’un simple passe-temps activé par le goût, le plaisir des cartes postales anciennes, et l’art du photographe. Je dirais plus volontiers, un carrefour entre les deux, une enquête qui est aussi une quête.

En effet, pendant plusieurs Années, Rivka et Yossi ont sillonné la Belgique, aussi bien la Flandre que la Wallonie,d u fin fond du Limbourg aux sources de l’Oise, afin d’y répertorier les endroits dénommés de la sorte, ou d’une manière approchante.

Une quête qui débouche le plus souvent sur un non-lieu: la rue des Juifs a changé de nom, et, la plupart du temps, les habitants eux-mêmes ne savent plus quand a eu lieu le changement, ni pour quelles raisons. Un peu comme dans La disparition, de Patrick Modiano, d’où l’auteur a systématiquement banni une lettre de l’alphabet.

Des suppositions plutôt que des explications: avec le temps, le sens a disparu; des Lombards, d’autres manieurs d’argent ou marchands d’étoffes, ont dû habiter autrefois ces rues. Il est vrai qu’en Wallonie on a systématiquement appelé crayats d’ Sarrazins les cendres laissées par les fourneaux d’autrefois, ou des restes du temps des Romains, dans des régions où aucun Sarazzin n’avait mis les pieds. Mais c’est aussi l’occasion, pour nos deux chercheurs, de rencontrer quelques-uns de ces Justes qui ont été pieusement honorés par la communauté juive, en raison des vies qu’ils ont sauvées en cachant des Juifs pendant la guerre.

A propos d’Enghien et de Bruxelles, ils rappelleront des lieux, des faits dont l’horreur n’a rien à envier au massacre par les nazis: ce fameux « miracle » de l’hostie saignante, une hostie qui aurait été profanée en 1369 par Jonathas, un Juif habitant Enghien. Ce crime imaginaire fut vengé par des massacres, des pillages, la destruction de la Synagogue, rue des Sols, où fut construite une chapelle expiatoire, aujourd’hui transférée à Etterbeek. Ce fut aussi la source qui inspira sculpteurs et verriers qui décorèrent Ste Gudule. Il est vrai qu’aujourd’hui une plaque commémorative rend à la vérité ses droits, mais elle n’est guère mise en évidence.

Nous l’avons dit, quête et enquête: et, par le style fleuri, l’émotion aussi de Rivka Cohen, c’est tout un passé qui se lève devant nous, la vie des quartiers juifs avant la guerre, toutes les frayeurs encourues, et, pire que tout, l’oubli, un oubli que viennent encore aggraver les attitudes, les paroles de ces gens (mais peut-on parler de gens?) auxquels l’horreur n’a rien appris.

Joseph Bodson