Ron Dorlan, Le pantin de l’impasse, roman, L’Harmattan, 205 pp, 19  €.

Un livre étrange, avec un sujet peu habituel, mais que Ron Dorlan a su traiter avec beaucoup de maîtrise et de délicatesse. Ses personnages sont bien typés, décrits de main de maître, et le côté festif, guindailleur, n’empêche pas que çà et là les questions essentielles soient posées, que ce soit le sens de la vie, ou la pauvreté à laquelle sont condamnés certains des personnages. Le tout dans des quartiers de Bruxelles auxquels on sent l’auteur très attaché, pour  leur sens de la zwanze, et cette valeur essentielle qu’est l’amitié entre les gens.

La pauvreté? Ecoutez plutôt:

« Il y a des filles comme moi qui s’amusent avec ça? »

Oui, ma petite, toutes les filles du monde jouent à la poupée. Mais sais-tu seulement que le monde existe? Tu es née, tu as vécu ton enfance à quelques rues d’ici, séparée par ce gouffre où l’on a aujourd’hui posé un ascenseur public. Et pourtant, tu connais moins de la vie qu’un enfant de brousse.

Ton univers a été jusqu’ici celui des adultes, des bistrots de la débrouille. Là, il n’y a ni jouet, ni amusement d’enfant. On y rit pour oublier, on y boit pour assommer sa peur et sa douleur. L’enfant de brousse s’est fait une poupée avec quelques feuilles et branches, il est en phase avec son milieu, il répète les gestes de sa mère. Toi, ce sont les murs sales, les pavés jonchés de canettes écrasées. Peut-on fabriquer une poupée avec un cylindre d’aluminium déformé? As-tu vu ta mère, un jour, s’occuper d’un bébé, plutôt que de sa chopine?

Misérabilisme? Mais non, réalisme, le plus simple, à ras de terre. On aura reconnu la Marolle au passage. Un homme jeune, pilier de bistrot, en viendra à s’occuper de la petite fille, drôlement futée pour son âge. Non, rien de Lolita. Ici, c’est autre chose. Je ne vous raconterai pas l’histoire, bien sûr. Tout ce que je peux vous dire, c’est que Ron Dorlan connaît drôlement bien son métier, et qu’il ne verse jamais dans le sentimentalisme facile.

Oui, monsieur, chez ces gens-là…Mais ces gens-là aussi, ils existent. Ces gens-là aussi, ils ont droit au respect. L’ethnologie, aujourd’hui, elle a disparu. Inutile d’envoyer un ethnologue en Mongolie extérieure: il risquerait de tomber sur un Français qui a gagné un concours offrant un séjour de quinze jours chez les derniers sauvages, au risque de les civiliser, ou sur un super-rallye organisé là-bas par un club BCBG. Non, il n’y a plus de frontières. Non, il n’y a plus de sauvages en Mongolie. Mais il y en a toujours rue du Renard, près de l’ascenseur et du gouffre, et personne ne va les voir. Peut-être que RTL ou Radio-Contact pourraient offrir à leurs heureux gagnants un séjour de quinze jours dans la Marolle, chez ces vrais derniers sauvages que personne ne va voir. Sauf Ron Dorlan, justement.

Joseph Bodson