Ron DorlanLe tango de tigre , roman, Associations bernardiennes.

De la dictature militaire argentine qui dura de 1976 à 1983, on se souvient surtout du général Jorge Videla. Il fut suivi par Roberto Viala et Leopoldo Galtieri, trois noms qui s’inscrivent dans les pages les plus sombres de ce pays.

Ce qui fut annoncé officiellement par le Pouvoir comme le « proceso de reorganisacion nacionale «  fut appelé par les Européens « La dictature militaire argentine » Elle s’exerça, effectivement, par une des répressions politiques les plus sanglantes de l’Histoire. Le communisme représentait, évidemment, pour cette autorité fasciste, le pire danger menaçant l’Église et l’État. Même à toute tentative timide de démocratisation, les arrestations mettaient fin. Elles étaient suivies d’interrogatoires dans les centres de torture, par des disparitions d’opposants précipités d’avions en haute mer, par des rapts d’enfants destinés aux familles bourgeoises qui devaient en faire des bien-pensants. Bref un terrorisme d’État qui rappelle le climat d’inquisition en Espagne sous Franco.

Dans ce terrorisme légitime la Plaza de Mayo devenait le seul lieu de rassemblement toléré quand les mères en faisaient le tour en pleurant leurs disparus.

A cette société où seuls la bourgeoisie et ses valets respiraient librement, appartenait le juge au chapeau noir,Lucas Ruiz Torrès, propriétaire foncier persuadé du bien-fondé de la propriété privée des exploitations agricoles et des industries.

Pour ce juge, l’Église et l’État sont les deux piliers soutenant la stabilité de l’Argentine et sa prospérité, ils représentant les meilleurs remparts contre le danger du communisme. Et si, pour écarter une telle chute dans le chaos, il faut recourir aux moyens efficaces comme la torture au cours des interrogatoires, eh bien, il faut l’admettre. Admettre…Accepter ? Il arrive que sa conscience ait des soubresauts. Faut-il acquiescer à toutes formes de répression ? Telles des enlèvements d’enfants, par exemple ? Enfin, être un adhérent inconditionnel à la chasse aux sorcières  dans laquelle les E.U jouent un rôle de premier plan ?

Le juge Lucas Ruiz Torrès va se rendre suspect, d’autant plus qu’il a libéré un détenu au cours d’un interrogatoire.Il est vrai qu’il a été frappé d’un coup de foudre à la vue du bel éphèbe. Il l’a amené chez lui et en a fait son amant. Homosexuel, Il a vécu de multiples aventures sans lendemain ; ces aventures n’ont jamais eu d’impact sur sa vie privée et professionnelle. Cette fois, sa passion dévorante pour Andrès lui sera fatale.

Le juge au chapeau noir, protagoniste de l’histoire romanesque, est également un personnage de l’Histoire, saisi dans une époque déterminée, marqué dans sa façon d’être et de penser par sa classe sociale, évidemment, par l’idéologie de droite et le poids de l’Église. Toutefois, à l’influence du contexte historique, échappe un pan psychologique de Lucas Ruiz Torrès.. Indépendamment des événements, son drame personnel s’amorce , progresse petit à petit inéluctablement , et cela, sans que l’auteur ne donne un coup de pouce à l’orien tation de son récit jusqu’au point final.

Les attitudes, réactions, tendances pulsionnelles des protagonistes s’insèrent très naturellement dans le milieu ambiant. Naturel qui donne sa vérité au roman . Ce souci de vérité, tant dans les portraits individuels que dans l’exposition du cadre politique – décrit avec un souci respectueux de l’Histoire – passe à travers une écriture sobre, claire dont la force d’expression souligne à la fois un tragique collectif et individuel.

                                                                         Barbara Y. Flamand