Sariette Batibonak – Discours anti-sorcellerie dans les pentecôtismes camerounais éd. L’Harmattan / Émergences africaines – 229 p. – 25 €

Basé sur les recherches personnelles de l’auteur sur le terrain lui-même (observations, participation aux événements, présence aux réunions, entretiens avec les pasteurs et les fidèles ou d’autres témoins) et sur une documentation très importante (dix-huit pages de bibliographie), cet ouvrage cible le rôle des pentecôtismes dans la radicalisation de la lutte contre la sorcellerie au Cameroun. Il faut dire que l’idée que tout peut être attribué aux forces occultes, le bien comme le mal, est très présente dans la population camerounaise et les gens qui se croient victimes de la malveillance d’un sorcier, d’une sorcière sont en demande constante de délivrance. Les pasteurs des pentecôtismes se disent en mesure d’apporter cette délivrance par des rituels, par une rhétorique violente, agressive, guerrière à l’encontre des sorciers. Ils interprètent des versets de la Bible, livrent bataille contre le Diable, « Satan ne passera pas », et contre les sorciers, présentant le Christ comme « solution à tous les problèmes ». Au cours de cérémonies spectaculaires et très longues, les pasteurs dynamisent les fidèles, qui sont très coopérants, très actifs en paroles et en gestes (gestuelle précise, danses, chants et réponses enthousiastes), qui expliquent leur cas, témoignent de leur délivrance, la vivent parfois au cours de la cérémonie, tombent en transes ou font des confessions sataniques.

Les accusations de sorcellerie émanent souvent des Églises, les pasteurs désignant/suggérant à la victime la source de l’envoûtement, source qui est bien souvent à trouver dans la famille proche. Voilà la victime menacée par ceux qui devraient la protéger, sa famille, voila la victime qui se méfie, qui s’isole. Tout cela provoque des tensions familiales, des dissensions dans le tissu social. L’adhésion à cette grille d’interprétation sorcellaire s’explique par le fait qu’elle repose sur un terreau culturel familier. La religion chrétienne s’est amalgamée aux croyances traditionnelles (démons et esprits) toujours bien présentes.

Les pentecôtismes ont proliféré depuis les années 1980, Églises rivales et concurrentes, faisant une publicité tapageuse pour attirer des fidèles. La publicité est partout, d’une efficacité redoutable, et sous toutes les formes possibles, panneaux gigantesques, vidéos, annonces radio, émissions télévisées, banderoles, folders, camionnettes publicitaires bariolées d’inscriptions… Discours accusateurs, proposition de solutions pour contrer des sorciers diabolisés amènent une population inquiète à adhérer à ces processus de délivrance. La médiatisation à outrance permet la délivrance à distance : des « miracles » en ligne, ou en suivant à la radio, à la télé la retransmission d’une séance de délivrance. Les pasteurs sont tout-puissants, ce sont des stars. En donnant à la population l’impression qu’elle est constamment en danger et en besoin de délivrance, les pentecôtismes augmentent la pression. Et la violence de leur rhétorique (« Il faut brûler les sorciers, foudroyer l’expéditeur en lui renvoyant sa malédiction ») fait que la violence verbale s’accompagne parfois de traitements inhumains allant jusqu’au meurtre. Les individus faibles, handicapés ou âgés sont souvent désignés comme sorciers et offerts à la vindicte populaire. Les femmes âgées, notamment, veuves et solitaires, ont la palme, les grands-mères font de bonnes sorcières.

Le thème du livre était pointu mais il ouvre sur toute une série de réflexions à propos de l’influence de la religion sur la société et sur les conséquences des manipulations au point de vue sociétal.

Isabelle Fable