Thierry Appelboom, Balzac témoin de la médecine du XIXe siècle, éd. M.E.O., coll. Musée de la Médecine, 2014, 140 pp., nombreuses illustrations.

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On connaît de reste le dessein prodigieux de Balzac, de faire concurrence à l’état-civil, et de dresser de la société française de son époque un tableau aussi complet et ressemblant que possible. Dessein étayé sur une vie tout aussi prodigieuse, brassant des projets gigantesques, étayés sur une ambition démesurée, des lectures boulimiques, une curiosité quasi universelle.

Il est vrai que  certains types sociaux, avec lesquels il avait moins vécu, sont sans doute moins réussis, les paysans, par exemple. Mais que dire de la médecine et des médecins? Un enthousiasme sans frein pour la science de son temps, les découvertes, au risque parfois d’une certaine naïveté: mais cette naïveté était partagée par bien des gens, des savants même, qui furent ses contemporains. Et les ennuis de santé qui l’assaillirent suite à ses excès ne manquèrent pas d’aiguillonner encore son intérêt pour la médecine.

Le livre de Thierry Appelboom, fort bien documenté et illustré, a su faire de ces intérêts divers une synthèse remarquable, fort bien conçue. Il part des médecins avec qui Balzac fut en contact très étroit, Nacquart et Breschet, pour parcourir, dans le chapitre 2, l’histoire des idées, des théories médicales aussi,  au cours des époques immédiatement précédentes et contemporaines de l’auteur:  Lamarck, Geoffroy St Hilaire, par exemple, auxquels il est fait souvent allusion dans la Comédie humaine, Cabanis, Bichat, Laennec, Broussais, Récamier, L’on voit ainsi s’affronter les écoles spiritualistes et matérialistes, les novateurs et les traditionnalistes.

Parmi les théories élaborées de son temps, on voit Balzac se passionner – cela fait partie de son caractère – non pas tellement pour celles qui ont un fondement scientifique assez solide, mais plutôt pour celles qui ouvrent sur l’avenir des perspectives parfois démesurées. Il est vrai que la science médicale de son temps, comme les autres sciences, avançait à grands pas, mais il y a chez lui un côté Matin des magiciens assez prononcé: il se passionnera aussi bien pour la physiognomonie de Lavater – et certains de ses portraits, dans la Comédie humaine, en sont marqués, que pour la phrénologie de Gall (que l’on songe à la fameuse bosse des maths, qui reste toujours à découvrir), l’homéopathie de Samuel Hahnemann. Tous les grands problèmes de la médecine de l’époque seront ainsi abordés, les moxas, les régimes alimentaires, les eaux thermales, l’acupuncture, la réforme des hôpitaux, les soins pour les aliénés, les épidémies, la syphilis, la tuberculose, la variole, le choléra,

L’auteur consacre alors un chapitre très fouillé aux médecins de La Comédie humaine:: c’est sans doute la catégorie sociale qui, après les artistes, journalistes et gens de lettres, y est la mieux représentée, et avec le plus de vérité. Ainsi Bianchon, le médecin mondain, Prosper Ménière, le Dr Desplein, le Dr Benassis, à se demander parfois si tel ou tel de ces noms est celui d’un médecin véritable, ou une créature de Balzac, tant les caractères y sont fouillés, et basés sur la réalité vivante.

Un autre chapitre étudie les maladies dépeintes dans la Comédie humaine, avec une attention spéciale pour les maladies du psychisme, et une idée chère à Balzac, celle que le travail intellectuel intensif est une source de dégénérescence de la santé physique. Il étudie ainsi la dépression mélancolique chez Louis Lambert, l’hypocondrie du comte de Mortsauf,, la mélancolie du baron de Nucingen. Mais la tuberculose, les accidents cardiaques sont aussi traités.

Dans un chapitre final, ce seront les maladies de Balzac lui-même qui vont être abordées: l’absence d’hygiène, les problèmes intestinaux, le mauvais fonctionnement du cœur. Tout cela bien sûr est lié à un mauvais régime de vie, au surmenage, à l’abus du café. Mais il est assez navrant de voir Balzac hâter ainsi la fin de sa vie, alors qu’il approche du port et d’une vie plus facile avec Mme Hanska.

Deux idées maîtresses sur lesquelles il convient, je crois, d’insister: la claire idée qu’il s’était faite de la liaison intime du psychisme et de la santé physique, qui devait déboucher sur le traitement des maladies psycho-somatiques, même si ce n’était ni Messmer ni Swedenborg (qui l’avait fort influencé) qui allaient en être les patrons, et la comparaison, faite bien souvent par Balzac lui-même, entre la pratique de Cuvier, en paléontologie, reconstituant un animal entier à partir d’un seul os, et celle du romancier, recréant, lui, une société au départ d’un ou deux caractères. Mais si Cuvier et ses méthodes allaient susciter à juste titre bien des réserves, le prodigieux défi de Balzac allait, lui, être très fécond, en littérature, au cours des périodes suivantes: que l’on songe seulement aux Hommes de bonne volonté, à la Chronique des Pasquier, aux Thibault, à Roman Rolland même.

Encore une fois, un livre extrêmement bien documenté, qui intéressera aussi bien le lecteur féru d’histoire de la médecine, que le lecteur attentif de la Comédie humaine.

Joseph Bodson