Thomas Campi, Vincent Zabus,  Macaroni !,   Dupuis, 2016.

Edité d’abord chez Lansman pour le théâtre et joué près de trois cents fois par la troupe namuroise des Zygomars, le scénario imaginé par le dramaturge Vincent Zabus est devenu une B.D. illustrée par Thomas Campi. Les éditions Dupuis réalisent ici un coup de maître : à l’heure où l’immigration italienne en Belgique est commémorée ici et là, cette publication trouve parfaitement sa place. Le dessin et les couleurs, d’une beauté et d’un réalisme saisissants, le dialogue entre un grand-père et son petit-fils, venu passer quelques jours chez lui, dans la région de Marcinelle, la préface superbement écrite par Adamo, qui a retrouvé toute une partie de sa vie dans cet album, offrent au lecteur une plongée émouvante dans le monde de la mine et de la misère que connurent les ouvriers transalpins venus travailler chez nous, au cœur du «  pays du bonheur », le pays noir en fait, où l’on broyait du noir, à longueur d’heures et d’années éprouvantes. Le « nonno » Ottavio va s’ouvrir peu à peu à la confidence et raconter au jeune Roméo son enfance, sa guerre fasciste aux côtés des Allemands, la prison, son départ pour la Belgique, sa vie, ses épreuves, son pouce qu’il va couper pour recevoir la prime et payer le médecin qui soignera son fils, son potager, son cochon qu’il a appelé Mussolini, sa frustration, sa nostalgie… Ce n’est pas la vie qu’il aurait voulu connaître, lui qui ne rêvait que de locomotives et de voyages à travers les collines et les vignobles de son Italie ensoleillée. Les mots que s’échangent le vieil Ottavio et le garçon sont repris sobrement, comme des bulles d’oxygène, dans les phylactères. La B.D. est faite essentiellement d’ images, comme le théâtre de marionnettes s’exprime de son côté par le mouvement, le bruitage et la voix mais l’auteur a réussi à construire cette fois une sorte de film à l’ancienne fait de plans fixes, de très courtes scènes et de quelques phrases, en français et en italien, qui suffisent à la compréhension. Qu’ajouter de plus aux borborygmes du vieil homme ? La silicose qui l’accable et l’alzheimer qui le mine déjà l’empêchent de creuser plus profondément dans son histoire. La préface volubile de notre chanteur adulé, Salvatore, est judicieusement présente pour parler à sa place. Non pas avec les mains comme dans les dessins du livre mais avec beaucoup de chaleur et de souvenirs personnels qui se mêlent à ceux de Nonno. Un destin ordinaire et obscur, décrit avec une grande simplicité, un ton juste, un art pudique et chaleureux en même temps confèrent à cette B.D. un cachet très particulier qui nous rappelle opportunément une époque oubliée par beaucoup mais qui a compté énormément en termes de souffrance pour les uns et d’enrichissement pour les autres…

                                                                                     Michel Ducobu