Fernand TFernand TOMASIOMASI
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Un autre regard sur les choses et les êtres. Fernand Tomasi.

Il a fallu du temps pour que je prenne conscience de cette invasion du besoin de créer, c’est-à-dire de passer du simple usage des mains pour fabriquer quelque chose à cette prise de conscience qu’il s’agissait là de l’entretien d’un plaisir profond comme celui de faire l’amour et de renouveler ce plaisir. Et il est vrai que c’est toujours un acte d’amour de regarder une pierre, un tronc d’arbre, une terre à modeler et de leur donner une forme, peut-être une âme.

Besoin de peser le monde, le beau et le moins beau parce qu’il est façonné de ces deux extrêmes avec toutes les variantes.
D’où m’est venu tout jeune ce besoin? La famille était de racine manuelle, de cette race qui bâtissait les maisons, les châteaux, les tours, les fortifications pour les maîtres, pour les envahisseurs, ces Romains qui sous Auguste ont conquis ce pays entre Italie, Suisse et Autriche aux dépens des Rhètes farouches. Ils sont devenus aussitôt troupes du génie qui accompagnaient les armées dans tout l’empire en expansion. Race qui plus tardivement partait au-delà des mers pour trouver un avenir meilleur. Exil qui fait bouillonner l’esprit toujours insatisfait. Et ceux-là qui partaient ne le faisaient pas sans ambition, matérielle, mais aussi souvent culturelle.

La « chance » d’être né pauvre dans une famille très nombreuse ne peut que pousser à vouloir changer sa vie, à chercher chez l’indigène le respect qui remplacerait les moqueries et, trop souvent par la suite d’une petite réussite, des jalousies entrelardées de propos blessants. Il faut donc se tourner vers la solitude active, cette solitude partagée avec les moines à la recherche d’une élévation personnelle.

Je retourne souvent dans ces montagnes des origines. Il me semble que chaque torrent, chaque élan de montagnes enneigées, chaque lever et coucher de soleil me relient au regard, à l’émotion, à la prière à l’Inconnu qui ont été ceux de ma race, accrochée à ces hauteurs depuis de nombreux siècles. Dans cet air vif qui creuse les poumons, qui active les battements du cœur, je rejoins ces hommes et ces femmes qui ont travaillé durement pour subsister, qui ont porté pierres, fumier, foin, branches brisées par les tempêtes et les poids excessifs des neiges, dans des hottes plus ou moins grandes, en escaladant des murs de pierre sur des marches étroites.

Toute une vie de taille devait un jour devenir hommage à ces ancêtres, à ma chair synthèse à peine dévoyée de ce qu’ils ont été.
J’achevais ces derniers jours un monument à l’entrée du parc national italien du Stelvio. Une stèle brute de marbre local très mélangé de quartzite. Un symbole de montagne enneigée avec des éclats de cristaux de quartz. Comme un défi de marquer fortement, avec fatigue, avec nécessité d’affûter les ciseaux armés de widia, et il faut souvent puiser un autre burin dans le coffre métallique parce que l’outil s’est brisé et n’est plus que tige de fer sans le moindre tranchant.

Ce mardi 27 septembre, j’ai achevé mes derniers symboles sur la face sud du bloc parallélépipédique, au-dessus du vide, sopra il vuoto (au-delà de la petite route en lacets, c’est la vallée de l’Oglio, 350 mètres plus bas) J’ai sculpté d’une manière un peu naïve un sauteur à ski comme tant de jeunes se risquaient à pratiquer ce sport dangereux et à tenter de sortir de leurs montagnes pauvres. Homme qui survole un aigle, depuis toujours représenté sur les blasons de ce village fortifié contre les porte-lance, à lame de dunite polie, les traine-sabre, les pillards de lard et de jambon, les trousseurs de laine sur les cuisses solides de ces femmes accrochées aux pentes herbues. J’ai repris un motif des années soixante que j’ai gravé dans le marbre pour justifier ces deux êtres des airs : « nel blu volare ».

Je ne vais pas décrire tous les symboles représentés. Travail de deux ans avec des séances de 10 à quinze jours. Ces personnages, depuis une Vierge à l’enfant aux traits durs de ces montagnards, avec un archange Gabriel à leur côté. Oui il est en retard, mais après son annonciation émouvante, ne devait-il pas venir de temps en temps pour voir si le gamin grandissait bien. Sur une autre face, des filles volent comme des oiseaux pendant que des jeunes gens escaladent les pentes. Un d’eux tombe dans le vide entouré de stelle alpine qu’il avait risqué de cueillir sur un pic dangereux pour se faire un peu d’argent : c’était un cousin de 10 ans en l’année 1942. Une autre face montre les partants avec leur fagotto (baluchon) sur le dos. Un navire à voiles, ancien navire négrier à la retraite après l’interdiction de l’esclavage va les conduire dans leurs pensées vers un bras levé énorme tenant un flambeau d’où s’élèvent les flammes d’un véritable incendie, à la dimension de leurs espérances de fuyards. Le haut du bloc est dominé de maisons toutes collées les unes aux autres, symbole d’une solidarité due à la parenté de tous avec tous, avec cette chapelle miraculeuse à quoi il faut bien croire à défaut de bonheur matériel. Une « canaola », instrument fait d’une branche courbée tenue fermée par une clavette autour du cou des brebis, rappelle leur attachement à leur montagne et le surnom donné à ces quelques centaines d’habitants de ce village à 1500 m d’altitude entre des sommets de plus de trois mille mètres entrecoupés de glaciers était tout simplement « Canaoi di Cané » (gens tenu par la canaola de Cané, nom du village, rappelant les « canne » qui servaient de barricades aux moutons dans les alpages. Les derniers habitants disent que cela exprime leur attachement à leur village, et pour moi leur emprisonnement dans les hauteurs parce que pour partir ils n’avaient pas les moyens financiers voulus.

D’autres signes nombreux rappellent l’histoire du village, sorcières brûlées entre 1480 et 1530, personnages diaboliques qu’on imaginait sur le col du Tonale proche à la frontière du Trentin, personnages effrayants pour dominer les enfants turbulents, comme cette « Pina Tarai » cousine germaine de notre Henri Crochet de Gaume qui servait à éloigner, par la peur, les enfants des fontaines d’eau glaciale. Ce monument fait suite à un premier inspiré de ces sorcières qui ont marqué l’histoire du village. Poursuivies, torturées, condamnées, ainsi que des hommes, voire des prêtres, quand les intelligences folâtraient du côté des idées de Jan Hus, de John Wyclif et de Luther. On avait dit à mes ancêtres que c’étaient des légendes. Mes sorcières voulaient scandaleusement restaurer la vérité. Et tout aussi scandaleux mon titre : « Anche le streghe vanno in paradiso » « Les sorcières aussi vont au paradis ». Il a fallu le temps, les propos flatteurs de quelques étrangers sur la qualité de cette moraine taillée comme les gravures préhistoriques de Capo di Ponte pour que quelques-uns plus instruits comprennent l’intention de ce travail réalisé entre 1991 et 1994, au cours de trois ans de présences intermittentes pendant qu’avec ma femme nous restaurions la maison médiévale, monastère un certain temps sous la domination de Venise et même école de théologie. Et dont nous avons sauvé formes des voûtes, crépis à la chaux, épaisseur des murs, vieilles boiseries de mélèze, coffres, charnières, serrures, clous forgés. Et même, retrouvés dans du fumier séculaire, outils, alpenstock, jougs pour attelage des vaches, casseroles en fer rouillé qui avaient mitonné, dans des cheminées, des soupes et la polenta de farine de châtaigne.

J’ai peu parlé de mes autres sculptures, très nombreuses, dispersées par les ventes, les cadeaux et les vols nombreux. Il me reste leur souvenir et la taille de moi-même pour que la poésie joyeuse demeure en moi.

Ce texte vous introduira dans une façon de vivre la création.

Fernand TOMASI - Le vin de la septieme porte

Les ivresses humaines. Le vin, la femme mais aussi la poésie. Sculpture de 2 m en grès rose de Trèves. Sur le socle rappel du personnage de Vénus, sculpture à Vaison-la-Romaine.