deutschXavier Deutsch, Chaussée de Moscou, Neufchâteau, Weyrich, coll. Plumes du Coq, 2014, 164 p.

Singulier personnage que décrit là Xavier Deutsch. Son portrait est d’abord pittoresque. Il devient peu à peu étrange, voire inquiétant. Au point que la minuscule commune rurale dont il est le premier magistrat devient, elle aussi, menaçante.

Pas très causant à l’ordinaire, le bonhomme soliloque tout au long du roman, avec çà ou là des bribes de dialogues. Cet gaillard-là est bourré d’intuitions, de prémonitions. Et, en plus, il voit la nuit, non pas nyctalope comme Bob Morane, mais tels les crapauds. Il « entre en forêt comme on entre en religion » et a toujours été fasciné par le décolleté du buste de la Marianne de son hôtel municipal.

Le patelin, transfrontalier avec Chassepierre, est singulier lui aussi. Il possède un musée avec des toiles de maître fameuses que visitent des touristes Moldaves. Il héberge une clinique privée qui héberge elle-même ce qui pourrait être des aliénés. Il est sans cesse parcouru par des rumeurs. Son curé est communiste et son épicier est Belge. Les autres habitants ont aussi des statuts étonnants. Les garçons sont tous baptisés d’un prénom russe. La mère du maire écrit des best-sellers à connotations érotiques. Sa femme est familière de quelques fantasmes sexuels. Le facteur est sosie d’un cardinal du XVIIe siècle…

La vie va donc son train. Il suffit qu’une gamine fugue, qu’un rodeur se dissimule dans les bois, qu’un gendarme soit remplacé par un autre pour que tout soit bouleversé. Tout à coup le singulier, le local, le folklorique se métamorphosent en problème sociétal. Et nous révèlent ou nous rappellent ce qui ne fonctionne pas entre les citoyens, entre les cultures, entre les humains, nous laissant avec des interrogations sans réponses puisque sans solution, du moins jusqu’à présent.

L’histoire se lit avec entrain car elle progresse vers des mystères, des non-dits. Au surplus, elle est parsemée de formules piquantes, sarcastiques, aigres-douces. Ainsi : « Quand la femme manque, la mirabelle ne remplace pas » ou « On s’adosse à des croyances bien plus solidement qu’à des vérités » voire encore « Il y a des fous partout, c’est bien à cela qu’on les reconnaît ». Ajoutons-y cette formule un rien narquoise : « la moitié (peut-être les trois quarts) de l’autorité que la police et la gendarmerie imposent aux citoyens repose sur notre ignorance des codes et des lois ».

Michel Voiturier