Yves Vander Cruysen – Les + belles traces de Victor Hugo en Belgique.- Ed. La boîte à Pandore – 342 pages – 18,90 €

Un remarquable travail d’historien, qui se lit comme un roman, tant il est vivant. L’auteur nous rend proche cette haute figure de la littérature grâce aux nombreuses lettres que Victor Hugo adressa à sa famille lors de ses quatorze séjours en Belgique. Non seulement Hugo y est venu par goût, parcourant en tous sens nos villes et nos campagnes, en grand connaisseur et amateur d’art et de beaux paysages, mais il s’y est exilé quand ses positions politiques l’ont chassé de France, et il s’y est plu, malgré l’éloignement de ses proches. Il y a travaillé, il y a publié. C’est cet épisode de sa vie que Vander Cruysen nous donne à lire à travers les courriers, qu’il commente abondamment.

Le talent de Victor Hugo est tel qu’il donnerait au plus sédentaire l’envie de voyager et au plus réfractaire à la lecture l’envie de le lire. Il nous fait prendre ou reprendre conscience de la richesse de notre patrimoine artistique, de la beauté de notre pays, que nous avons parfois tendance à négliger. Mieux que des récits de voyage, ce sont des invitations au voyage. Il nous livre ses impressions (bonnes ou mauvaises) avec enthousiasme, alliant la précision des mots au romantisme de l’esprit. Ainsi, sa description d’un trajet en train, où tout le paysage n’est plus que raies ou taches de couleur, où la locomotive est vue comme une bête mythique, qui aurait pu, inventée quelques siècles plus tôt, prendre des formes encore plus fantastiques que cet air de simple machine.

Victor Hugo nous apparaît à travers ces lettres comme un homme cultivé, à la fois précis et pointilleux (il décrit les choses en détail, note ses dépenses et même la charité faite à l’un ou l’autre pauvre, traite avec fermeté les contrats d’édition …). Tout est consigné, archivé, renseigné. Il donne l’impression d’absorber la vie pour la restituer en mots, lui conférant ainsi une autre dimension. Mais sa vie personnelle n’est pas le seul sujet d’intérêt. Hugo se passionne pour d’autres choses. Napoléon et la bataille de Waterloo revêtent pour lui une grande importance, il a visité les lieux, il commente l’histoire, il insère cet événement dans « Les Misérables ». N’hésitant pas à mythifier la sordide réalité de la bataille où tant d’hommes et de chevaux trouvèrent une mort boueuse, pour en faire un événement magnifique, atteignant « la grandeur eschylienne », un événement qui aurait pu tourner tout à fait autrement si… il n’avait pas plu autant la veille, si Blücher était arrivé plus tôt, si Wellington… Il en arrive même à trouver le mot de la fin, le fameux mot de Cambronne face à la mitraille, et affirme que « Foudroyer d’un tel mot qui vous tue, c’est vaincre », transformant la défaite effective en victoire morale.

Hugo s’intéresse de près à la vie politique et à l’aspect social, il dépeint la misère du peuple, il prend position contre la peine de mort… Il a beaucoup d’admirateurs mais aussi des détracteurs. Il arrivera même à se faire expulser de Belgique suite à sa réaction aux propos du baron d’Anethan, ministre des Affaires étrangères, qui traitait les communards de « gens qui méritent à peine le nom d’hommes et qui devraient être mis au ban de toutes les nations civilisées ». Pour ne pas nuire aux bonnes relations entre la France et la jeune Belgique, le gouvernement prend un arrêté d’expulsion le 30 mai 1871. Hugo se résignera, et fera toujours bien la différence entre ce gouvernement, qui le juge persona non grata, et le gouvernement précédent, qui lui avait fait si bon accueil. Et cela n‘entamera en aucune façon les bonnes relations avec « le peuple belge », qu’il appelle parfois le peuple « welche »… et qu’il « aime fort ». Il a des liens étroits avec la Belgique. C’est un éditeur bruxellois, Albert Lacroix, qui va publier le premier « Les Misérables », œuvre magistrale qui remporte immédiatement un succès énorme (130 000 exemplaires, contre les 2000 habituels pour d’autres grands auteurs de l’époque). Cette œuvre connaîtra d’innombrables adaptations théâtrales, musicales, cinématographiques et télévisées. La première représentation théâtrale sera d’ailleurs donnée à Bruxelles, au Théâtre des Galeries Saint-Hubert. Et voir ainsi un peu partout des « traces de Victor Hugo en Belgique », d’Agimont à Ypres (par ordre alphabétique), en pointant surtout Bruxelles, où il a habité, notamment sur la Grand Place, nous permet de l’approcher – et de nous l’approprier un peu !

Isabelle Fable