Exposition en la Maison Losseau à Mons
Littérature et peinture : « 7 femmes, 100 frontières »

La Maison Losseau, centre de littérature de la Province de Hainaut, accueille régulièrement des expositions associant plasticiens et écrivains. Une des plus importantes fut celle consacrée au « Bateau ivre » de Rimbaud interprété par des artistes graveurs. En voici une qui s’avère d’une veine similaire.

Une oeuvre de Nadine Fiévet,, en correspondance avec les mots de Dolorès Oscari.

 

Dans « sept femmes cent frontières », Nadine Fievet a délaissé son travail de coloriste pour s’exprimer uniquement en noir et blanc. Elle a pris contact avec une demi-douzaine de personnalités qui pratiquent le texte pour leur demander de dire leur perception de la frontière. Il est question du passage d’une région à une autre, de l’exil, de la confrontation d’une langue maternelle à une autre qu’il faut s’approprier.

Cecilia Burtica, d’origine roumaine, écrivaine plurivalente, évoque le chemin à suivre pour exister malgré les doutes qui assaillent, les incertitudes, les tempêtes traversées. C’est l’acceptation nécessaire d’un ailleurs auquel s’adapter lorsqu’on croit que tout a changé alors que l’essentiel demeure. Cela se traduit graphiquement par un magma traversé par le tracé de deux lignes évoquant la route, par une accumulation de formes qu’une impression de mouvement irrépressible rend floues. C’est aussi un rappel de paysage végétal, celui qui se développera lorsque les graines disséminées rendront plus denses les floraisons neuves.

Françoise Houdart, romancière francophone enseignant aussi l’allemand, est ancrée dans un Borinage rongé sous terre par les exploitations minières, dissimulant sa misère et ses blessures sous le sol habité. La part inférieure noir anthracite est le socle de la surface d’un noir de suie que rainurent des verticales industrielles. Descendre dans un élément, ressortir vers un autre, c’est attester « une peur de voyant dans un monde de taupes ».

Vénus Khoury-Ghata, poète et romancière libanaise, déclare « Ayant appris à parler, lire et écrire dans deux langues, l’arabe et le français qui n’ont pas le même rythme intérieur, j’ai toujours l’impression de traverser des frontières pour m’exprimer, de payer une taxe dès que j’ai le stylo en main ». Des traits cadencés strient un espace qui demeure incertain. Ailleurs, un écheveau peu extricable suggère que les parlers ne parviendront jamais à fusionner en langue unique universelle. Complexes également ces effilochements et ces poteaux qui avisent que n’est pas venu encore le temps où les religions cesseront de s’opposer avec violence. Un champ de tiges acérées sur fond céleste où volent en éclats des éléments épars insiste en effet sur les démarcations.

Anne Létoré, Française établie en Belgique avec un compagnon néerlandophone relieur (dans les deux sens potentiels de ce mot), écrit et édite sous le label  » L’Âne qui butine »  Pour elle, du noir et blanc plus épais, abstraction calme pour une écriture qui virevolte avec une densité de haïku.

Gharraa Mehanna, professeure émérite de français à l’université du Caire, poète et conteuse pour enfants, décline des poèmes sur l’éphémère de l’existence humaine. Sur arrière-plan abstrait suggérant des présences concrètes, une double graphie cursive et arabe inscrit que l’écrit survit, que le décès est susceptible de se ressentir délivrance ou voyage vers l’éternité.

Quant à Dolorès Oscari, descendante d’une famille yougoslave, productrice d’émissions littéraires, responsable du théâtre « Poème2 », elle affirme : « Ni musée précoce, ni cimetière anticipé, le théâtre est un art vivant ». Pour elle, le travail de Nadine Fievet résulte d’une gestuelle en rapport avec la présence corporelle dans toute création. Ce sont des scènes dont on perçoit les mouvements qui se jouent comme un combat entre clarté et obscurité, calme et effervescence.

Art plastique et écritures se combinent, se mêlent, s’interpellent. Parfois en une sorte de symbiose, parfois en antagonisme, parfois en écho. L’abstraction des formes ou leur réalisme allusif sont le pendant de l’aspect visuel des vocables en fonction de la langue qui les accumule sur le papier support. Davantage encore en ce qui concerne les quelques œuvres que Nadine Fievet a recouvertes d’une feuille translucide, ajoutant un filtre externe entre le regard du visiteur et le travail scriptural des partenaires d’une part et pictural de la plasticienne d’autre part.

Michel Voiturier

L’exposition « Sept femmes, cent frontières» est accessible à la Maison Losseau, 37 rue de Nimy à Mons jusqu’au 20 mai. Infos : +32(0)65 39 88 80 ou www.maisonlosseau.be